Kiev et Moscou face à la Nouvelle-Russie
CONTRIBUTION / OPINION. Le projet d’État opéré en sous-main par les séparatistes pro-russes depuis 2014 dans l’Est ukrainien semble aujourd’hui au point mort, à l’heure où les annexions russes des régions ukrainiennes de 2023 tendent à l’effacer. Le sort de ce projet en sommeil, mais toujours d’actualité chez les plus zélés des nationalistes russes, voit Kiev et Moscou s’accorder par narratifs opposés pour enterrer à jamais cette initiative.
L’invasion de l’Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine le 24 février 2022 — il y a déjà plus de deux hivers — tend à faire oublier une réalité d’un état de guerre tangible pour la nation ukrainienne depuis 2014 et les soulèvements séparatistes de l’Est, consécutivement à la prise de la Crimée par Moscou. S’il est vrai que les provinces de l’Ouest du pays n’ont pas eu à endurer les conséquences de cette longue première phase de la guerre — qui a culminé en 2015 avec les accords avortés de Minsk négociés avec l’entremise des Occidentaux —, la plupart des Ukrainiens revendiquent la réalité de l’agression russe depuis la fin des événements de Maïdan, la chute du président Ianoukovitch et la guerre du Donbass.
Où est passée la Novorossiya ?
En ce temps-là, les séparatistes qui s’étaient emparés d’une large part des territoires des oblasts (régions) de Donetsk et de Lougansk ont tenté de mettre en place un État aux références sorties de l’Histoire tsariste : la Nouvelle-Russie, ou Novorossiya. Ce projet ambitionnait d’amalgamer en fédération les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk nouvellement créées par les seigneurs de guerre locaux ainsi que toute nouvelle entité territoriale insurgée qui se créerait par la suite. Cette expression de Nouvelle-Russie renvoie au nom par lequel se trouvaient désignées, sous la Russie impériale, les provinces du sud de l’Ukraine. Les principaux promoteurs de ce redécoupage des frontières de l’Ukraine sont alors Igor « Strelkov » Guirkine, officier du GRU (les renseignements militaires russes) et Pavel Goubarev, politicien local pro-russe de Donetsk. En Russie, l’initiative est soutenue par Alexandre Douguine, égérie raspoutinienne des Occidentaux, qui tendent à présenter cet idéologue qui rêve d’un empire eurasien comme l’éminence grise de Vladimir Poutine. Cette idée de « l’homme de l’ombre » pour désigner ce personnage fantasque est profondément ancrée dans les esprits...