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Le complotisme dans l’imaginaire politique moderne

S’il est toujours légitime de douter et de mobiliser son esprit critique, la croyance fanatique aux complots dénote en revanche une fêlure de la pensée qui se manifeste à travers des fantasmes obsédants. Pierre-André Taguieff nous explique pourquoi. (Ce texte fait suite à son article publié dans le numéro 2 de la revue Front Populaire, consacré à l’Etat profond.)

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Depuis la fin des années 1990, les tentatives d’explication du phénomène complotiste se sont multipliées, mobilisant toutes les sciences sociales ainsi que l’histoire et la philosophie. Mais il n’existe pas de théorie générale qui fasse consensus. Il est possible cependant de se donner une définition générale des croyances et des récits complotistes. On entend ordinairement par théories du complot (Conspiracy Theories, Verschwörungstheorien) les explications naïves – ou supposées telles – s’opposant en général aux thèses officiellement soutenues, qui mettent en scène un groupe ou plusieurs groupes agissant dans l’ombre ou en secret pour réaliser un projet de domination, d’exploitation ou d’extermination. Les conspirateurs imaginés sont accusés d’être à l’origine des événements négatifs, perturbateurs, troublants ou traumatisants dotés d’une signification sociale. La passion motrice de ceux qui croient à des complots fictifs est la peur, laquelle peut se transformer en angoisse face à des signes annonciateurs d’une catastrophe, ce qui confère à la vision complotiste un horizon apocalyptique.

Quelques hypothèses pour expliquer le complotisme

Le récit complotiste peut être plus ou moins élaboré et son champ d’application plus ou moins vaste : on passe ainsi de la simple peur d’un complot (ou d’une manipulation) ou d’une rumeur de complot à l’hypothèse d’un complot face à un événement énigmatique ou scandaleux, puis d’une idéologie du complot, censée expliquer l’évolution d’un système social, à une mythologie du complot postulant que le complot, ou plus exactement l’enchaînement des complots, est le moteur de l’Histoire. Les producteurs et les adeptes des visions conspirationnistes se promènent entre ces quatre niveaux d’expression de la thèse du complot.

Le moteur des raisonnements complotistes est la profonde insatisfaction éprouvée à l’égard du monde tel qu’il est ou tel qu’il est devenu, ainsi que la déception ou la contrariété suscitées par les explications officielles des événements répulsifs, telles qu’on...

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