Lettre à un professeur qui n’aurait pas dû partir avant que je ne le revoie
OPINION. Il y a, dans notre scolarité, des enseignants qui nous marquent à jamais. Récemment disparu, le professeur de philosophie de notre lectrice était un de ceux-là. Elle lui rend hommage.
Novembre. Il y a dans le mot une douceur doucereuse. Il m’est arrivé d’adorer novembre. Le reste des feuilles mortes qui hésitent à tomber, le vent tantôt doux et humide juste ce qu’il faut, tantôt glacé et sourd, le vent de Verhaeren. Novembre invite au recueillement, au silence, à la contemplation de l’année qui s’éteint. Novembre et ses longues nuits, ses odeurs de bois, mouillé ou brûlé, ses couleurs chaudes de feuilles allumées d’agonies, mais aussi le bleu gris lumineux des ciels de crépuscule. Et la promesse de Noël qui vient.
Il y a eu dans ma vie des novembres obscurs. Inoubliables chagrins. Les sédiments de la mélancolie fossilisent peu à peu les souvenirs. Novembre 2022 allait finir. Celui-là, je l’avais flatté, accueilli. Le bénéfice du doute nous met toujours dans une position enfantine et altruiste. Toujours laisser une chance. Et puis novembre n’est rien, une division du temps, une coïncidence, petit bouquet de dates qui pour d’autres ne seront que des joyeux anniversaires. Novembre n’est rien et il allait finir.
Mais voilà qu’au bord de son départ, il s’est retourné une dernière fois. Mon professeur de philosophie est mort. Celui de terminale, je précise. Non pas que les autres professeurs de philo que j’ai eus pendant mes études me soient indifférents, mais celui-là, c’était particulier.
Il était tout d’abord précédé d’une réputation qui a fait de mon entrée en terminale une fête. La réputation, un miroir aux alouettes, qui peut être ruinée en un instant, mais qui rassure, qui accroche à nos espérances l’absence de hasard. Une fête, la certitude que tout irait bien. Patiemment, il a tissé entre les grands textes et nous, une connivence qui s’est construite pas à pas. Ce que l’on doit à quelqu’un, on ne le découvre que peu à peu, quand le monde...