Réapprendre à mourir : réponse à Laurent Alexandre

OPINION. Dans son dernier essai, Jouissez jeunesse (JC Lattès, 2020), Laurent Alexandre affirme que « la modernité débute au moment où l’on se libère de la nature ». Pour notre contributeur, cette idée signe la fin de la notion de progrès qui n’est plus perçue comme un moyen mais pour une fin en soi.

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La technologie, assimilée hâtivement au progrès, est en passe de « nous rendre comme maître et possesseur de la nature » (Descartes, 1637). Le transhumanisme, en accouchant d’« Homo Deus », incarne les excès de la science et de la raison, trop souvent invoquées comme des solutions adéquates aux problèmes contemporains. Fuyant les réalités, nous nous sommes éperdument réfugiés dans l’idée réconfortante du progrès : « Nous trouverons une solution, ça ira mieux demain grâce à de nouvelles inventions ». Le progrès comme but, comme objectif, comme finalité, voilà ce qui nous a motivés dans l’impatiente attente de l’an 2000. Or, nous le constatons aujourd’hui, les voitures volantes ne sont pas au rendez-vous, et l’horizon du progrès est encore repoussé. Certains affirment, à l’instar des organisations internationales, que nous vivons plus longtemps ; en bonne santé de surcroît.

Cette idée fantasmagorique du progrès, fontaine de jouvence, laisse entrevoir une victoire sur la mort ; idée rassurante devant l’une des dernières inconnues. En s’affranchissant des contraintes naturelles imposées à l’Homme, la mort ne devient plus un obstacle. Les explications théologiques ne suffisent plus pour nous faire patienter durant l’angoissante attente. Pour paraphraser Laurent Alexandre, par trois fois l’Homme a tenté de défier Dieu avant d’en être puni : en mangeant le fruit défendu, en construisant l’arche de Noé et en bâtissant la tour de Babylone. En entrevoyant la possibilité de dépasser la crainte du trépas, l’Homme entame sa quatrième tentative. L’accélération croissante du progrès technologique vient bousculer des années de croyance mystique ; Charles Péguy dénonçait déjà, au crépuscule du XIXe siècle, la perte de sens causée par l’éclosion de la société industrielle postmoderne. Le renoncement aux valeurs chrétiennes, et à toute forme de mystique, illustrait alors la volonté de construire un Homme libéré des contraintes naturelles qui s’imposaient à lui.

Mais depuis ? Pouvons-nous affirmer avec certitude...

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