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Souvenirs de Créances

OPINION. Cet été, Front Populaire propose à ses lecteurs de partager un souvenir, une réflexion, un morceau de France. Notre abonné nous emmène à Créances, dans la Normandie de son enfance, entre patois et influences espagnoles.

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Lessay, dont la Grand Lande a été si bellement chantée par Barbey d’Aurevilly et par Louis Beuve, bien avant que la route touristique fût tracée, était le passage obligé pour se rendre de Cherbourg à Créances où ma mère, demoiselle des Postes, avait connu mon père.

Les Créançais ont toujours été considérés comme des gens à part, tant par leur langue que par leurs mœurs. La tradition les veut issus de naufragés espagnols — voire de Maures d’Espagne — ayant fait souche. J’adhère volontiers à cette légende, pour deux raisons. La première, mon physique, ma gueule de métèque, tellement typé, que si je me rencontrais seul, de jour comme de nuit, dans un endroit désert, je me ferais peur à moi-même. À l’étranger, on n’a jamais voulu me croire français. Stoppant vers l’Espagne, les conducteurs français me prenaient pour un Espagnol de retour au pays. Séjournant dans les Asturies, près de Villaviciosa, en pleine campagne, chez mon ami Javier Cayado y Cayado, je me souviens m’être dit que je ressemblais plus à un Espagnol (d’Épinal) que les jeunes Espagnols qui m’entouraient. Espagnol ou gitan ? Javier me dissuada de m’habiller en rouge et noir, parce que cela me faisait ressembler à un gitano. À Istanbul, on me crut hindou ; en Grèce, un garçon de café, incrédule, me demanda : « Papa et maman français ? » La seconde raison est que dans un temps très ancien, les Créançais, le jour de la fête des morts, festoyaient avec ces derniers, coutume vivace encore en Amérique latine.

Et puis, à Créances, le temps passait moins vite qu’à Cherbourg, puisque, lorsqu’il était 4 h là-bas, il n’en était que 3 là, où l’on marchait « à la vieille ». Et puis à Créances entre petit-déjeuner et déjeuner, on faisait une collation, arrosée de cidre. Et quand les...

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