idéesInstitutions

Arnaud Benedetti : « Le macronisme libère le potentiel autoritaire de nos institutions »

ENTRETIEN. Plusieurs mois après son vote par les députés, la réforme des retraites continue de cristalliser les crispations démocratiques. Ou anti-démocratiques, dans le cas de la majorité (relative) macroniste à l'Assemblée nationale. Analyse avec Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire.

Arnaud Benedetti : « Le macronisme libère le potentiel autoritaire de nos institutions »


Front Populaire : Hier, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a annoncé vouloir faire barrage à la loi d’abrogation de la retraite à 64 ans proposée par le groupe LIOT. Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l'Enfance, a également exprimé sa volonté de « tout faire pour que le débat n'ait pas lieu ». Comment interprétez-vous ces déclarations ?

Arnaud Benedetti : La perte de tout sens commun suscite une fuite en avant particulièrement préoccupante. François Mitterrand avait coutume de dire que les institutions étaient dangereuses avant lui, qu'elles le seraient après. La réalité c'est qu'avant lui et qu'après lui, elles ne le furent pas forcément car nous avons été dirigés, générations nourries par l'histoire et par la transmission proche de ses convulsions, par des gouvernants qui, nonobstant leurs failles, disposaient d'une conscience de l'extrême fragilité démocratique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, faute de culture historique et de culture tout court.

Les déclarations auxquelles vous faites allusion sont confondantes d'ignorance. Voilà des gens qui sont minoritaires, qui interprètent de manière sommaire et radicale le texte de la Constitution pour en tordre l'esprit d'une telle manière qu'ils accentuent au final la béance entre de larges segments de l'opinion et le pouvoir. Sans majorité, le pouvoir opère dos au mur, en refusant toute ouverture et tout compromis, alors que les résultats des élections législatives étaient une adresse du peuple français au Président, enjoignant celui-ci à accepter de gouverner avec des contre-pouvoirs, à commencer par celui de la représentation nationale. La réponse n'a pas été seulement la surdité, mais la brutalité d'une lecture littérale et discutable de notre loi fondamentale. Le macronisme a pris de la sorte le virage d'un illibéralisme élitaire...


FP : Certains parlent à propos du dossier de la réforme des retraites de la pire séquence institutionnelle rencontré par la Ve République. Partagez-vous cet avis ?


AB : L'une des plus préoccupantes dans tous les cas, compte tenu de la perception justifiée de la profondeur de la crise démocratique. L'exécutif a opéré en radicalisant sa propension à la pratique oligarchique du pouvoir. Il a coupé la route de la démocratie sociale, oubliant que la République est sociale constitutionnellement, en contournant les syndicats, en donnant le sentiment, même, de les piétiner ; il a refusé d'emprunter le chemin de la démocratie directe, via le référendum, en niant qu'en démocratie, la souveraineté est d'abord celle du peuple ; il a bloqué par une accumulation de l'usage des tenailles du parlementarisme dit rationalisé, discutablement validée par le Conseil constitutionnel, le fonctionnement régulier de la démocratie parlementaire, en négligeant  le rôle de chambre de décompression que joue le Parlement dans un régime libéral. Tout se passe comme si l'asphyxie démocratique s'était accrue au moment même où la défiance à l'encontre des institutions n'a jamais été aussi forte sous la Vème République. La trajectoire est à coup sûr à la déliberalisation de nos institutions qui, faut-il le rappeler ?, sont celles qui corsètent le plus parmi les démocraties libérales l'instance parlementaire.


FP : Faut-il y voir une crise des institutions au sens large ou une crise de représentation ? En somme, la faute au système ou la faute à la macronie ? 

AB : Le macronisme libère le potentiel autoritaire de nos institutions ; il le fait en sur-interprétant leur verticalité d'une part et d'autre part dans un moment où le sentiment de dépossession démocratique ne cesse de croître. Le fond du problème résulte d'un mouvement qui du sommet tend à ne plus se légitimer par la base sous l'effet de la globalisation dont l'Union européenne n'est que l'un des rouages. Cette tendance à la corrosion des fondamentaux démocratiques est portée par une évolution de plusieurs décennies, et ne parvenant plus à se dissimuler, elle en vient à être de plus en plus contestée.

En France, la réponse à cette remise en cause – ou contestation – a trouvé dans le macronisme sa forme la plus exacerbée. L'époque dans laquelle nous entrons est symptomatique d'un durcissement idéologique de ce que l'on a appelé « la pensée unique » ; ce faisant, à l'épreuve de sa mise en question dans la société, cette pensée unique tend à s'affranchir de manière décomplexée, très souvent, des canons libéraux dont elle se revendique abusivement sur un plan politique. La démocratie devient une variable d'adaptation lorsqu'il s'agit de maintenir, coûte que coûte et contre les peuples si nécessaire, le logiciel mondialiste. La crise des retraites en France est l'une des multiples illustrations, bénignes au demeurant, de ce phénomène.


FP : De plus en plus de voix s’élèvent pour contester la nature démocratique de notre régime politique. Y-a-t-il une possibilité de sortie par le haut de cette crise ? 

AB : D'un point de vue démocratique, la seule issue serait fatale pour le paradigme des élites dominantes, car il faut bien saisir en toute lucidité la contradiction ontologique entre démocratie et globalisation. La globalisation arrache aux peuples leur capacité à l'autodétermination, c'est-à-dire cette liberté collective fondatrice des démocraties. Tant que nous ne sommes pas en mesure de démocratiser la mondialisation, la mondialisation opère comme un rouleau compresseur.

Un exécutif comme celui d'Emmanuel Macron, qui est d'abord le produit d'une weltanschauung (conception du monde, ndlr) mondialisée, applique cette feuille de route, en s'affranchissant autant que faire se peut des pré-requis démocratiques, en distendant l'exercice du pouvoir toujours plus de ces derniers, en testant la capacité de la société à accepter sa conformité à un ordre global. Le Président, entravé dans son premier quinquennat par les crises des Gilets jaunes et sanitaire, s'efforce par ailleurs de rattraper le temps perdu sur son agenda d'adaptation à la globalisation. Mais il le fait sans majorité, sans mandat explicite. Ce qui à terme ne peut que nous rapprocher d'un accident démocratique de haute intensité .


Propos recueillis par Maxime Le Nagard
Crédits illustration :  © Jacques Witt/SIPA

Chargement des commentaires...

Vous aimerez aussi