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Marcel Gauchet : « Il faut réapprendre la démocratie à la base »

ENTRETIEN. Dans son dernier livre en date Le noeud démocratique : aux origines de la crise néolibérale (éd. Gallimard), Marcel Gauchet s’intéresse aux crises qui parcourent la démocratie moderne, plus fracturée que jamais à l’heure de l’individualisme et de la mondialisation débridés.

MARCEL-GAUCHET
Marcel Gauchet.© BALTEL/SIPA


Front Populaire : Avec l’effondrement des totalitarismes, la démocratie libérale est devenue l’horizon politique indépassable. Et pourtant, le sentiment de dépossession démocratique plane. La démocratie semble ainsi être à la fois une évidence théorique et, de plus en plus, un fantôme pratique. Paradoxe ?

Marcel Gauchet : A première vue, en effet, la situation est paradoxale. Si tout le monde ou à peu près est d’accord avec les principes de base de la démocratie, pourquoi marche-t-elle si mal, au point de paraître « fantomatique », comme vous le dites ?

Mais il n’y a pas de paradoxe, en réalité. Il y a tout simplement une grande distance entre les principes en question, les droits de l’homme, la souveraineté du peuple, et le mode de fonctionnement effectif du régime démocratique. Pour le dire autrement, les principes ne fournissent pas leur mode d’emploi. Celui-ci dépend d’un facteur extrinsèque qui est l’état de la structuration collective sous-jacente. C’est tout l’objet de mon livre que de mettre en lumière le rôle de cette dimension cachée. Les principes de la démocratie s’appliquaient dans un cadre où il y avait une certaine présence indiscutée de l’autorité politique, de l’appartenance collective des citoyens, de l’inspiration d’une histoire commune.

Ce ne sont pas les principes qui définissaient ce cadre qui passait pour aller de soi, mais l’héritage d’une très longue histoire, l’histoire de la structuration religieuse des sociétés. C’est cet héritage qui achevé de s’effacer en en ôtant leur évidence tant à l’autorité politique qu’à l’appartenance collective ou à l’identité historique. D’un côté, il en est résulté l’accord sur les principes, mais de l’autre côté, il s’en est suivi une profonde transformation des conditions de fonctionnement de la démocratie qui a changé la manière de comprendre ses principes, en privilégiant l’extension des droits individuels aux dépens de la souveraineté du peuple. C’est cette transformation...

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