Mark Hunyadi : « Une société sans confiance est une société de robots »
ENTRETIEN. Professeur de philosophie morale et politique à l’Université catholique de Louvain (Belgique), Mark Hunyadi est notamment l’auteur de La Tyrannie des modes de vie et Le Temps du posthumanisme. Après recension de son dernier ouvrage, Au début est la confiance (ed. Le Bord de l’eau), nous avons souhaité approfondir avec lui la notion.
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Front Populaire : Vous produisez dans ce livre la première théorie unifiée de la confiance. Comment expliquez-vous qu’une notion aussi importante ait toujours été jusqu’ici un angle mort de la pensée ?
Mark Hunyadi : Cela a fondamentalement à voir avec l’individualisme qui imprègne la modernité, et qui a trouvé ses fondements philosophiques au 14e s. avec la révolution nominaliste, sa base économique avec le développement des marchés dès le 15e s, son assise politique et morale au 18e s. avec les révolutions américaine et française. Ces éléments ont mutuellement renforcé l’individualisme pour aboutir aujourd'hui à ce que j’appelle « l’individu-cockpit » : un individu qui gère sa relation au monde à partir des informations dont il dispose en cherchant à exécuter au mieux ses désirs et ses volontés. Pour un tel individu (dont le confinement nous a donné une image saisissante !), faire confiance est toujours un risque : le risque que, puisqu’elle dépend d’autrui, sa volonté ne s’exécute pas comme il le projette. La confiance n’apparaît donc que sous la figure du risque. Au sujet souverain, la confiance n’apparaît que comme un pis-aller dans l’exécution de sa volonté et de ses désirs. Elle est structurellement reléguée au deuxième plan, alors qu’elle est – c’est ma thèse – constitutive de notre rapport au monde.
FP : Vous qui avez réfléchi théoriquement à la notion de confiance, comment, à l’inverse, se manifeste-t-elle très pratiquement au quotidien ?
MH : Je marche dans la rue, je m’attends donc à ce que le sol ne s’effondre pas sous mes pieds. La preuve de ma confiance, c’est que je marche ! Penser, croire que le sol ne va pas s’effondrer ne suffit pas, car ce n’est pas encore une action. La confiance n’est pas une croyance : c’est mon action de marcher effectivement qui convertit cette croyance que j’ai « dans la...