F.P. : La thèse de votre livre est finalement que Rousseau est probablement l’auteur le plus mal connu des auteurs connus. D’où vient selon vous cet étrange état de fait (Rousseau est-il ambigu ou ses lecteurs manquent-ils de finesse) ?

Alain de Benoist  : Les auteurs connus sont rarement bien connus (tout le monde connaît Marx, mais presque personne ne l’a lu). Aujourd’hui, j’ai l’impression que Rousseau n’est pas seulement mal connu, mais aussi de moins en moins lu. La droite le déteste, la gauche l’ignore. Même les écolos évitent de se réclamer de lui. Cela dit, il n’est pas faux de dire que Rousseau est « ambigu ». Sa pensée est complexe, et comprend de multiples facettes. C’est ce qui explique que, de même que Hegel a été revendiqué aussi bien par les « hégéliens de droite » que par les « hégéliens de gauche », sa postérité ait elle aussi été très diverse. Raison de plus pour ceux qui s’intéressent (encore) aux idées d’aller y voir de plus près.

F.P. : Néanmoins, et vous le notez vous-même, on a vu en Rousseau un démocrate, un antidémocrate, un anarchiste, un conservateur, etc. Il a été critiqué par les libéraux autant que par les antilibéraux. Les spécialistes eux-mêmes ont parfois des visions opposées de sa pensée. Vous présentez vous-même « un autre Rousseau ». Il n’y a pourtant bien qu’un seul corpus rousseauiste. Le « vrai » Rousseau existe-t-il ou est-il à jamais insaisissable ?

Alain de Benoist  : Bien sûr qu’il y a un « vrai Rousseau », mais c’est un Rousseau qui n’est pas exempt d’apparentes contradictions, et surtout qui ne se réduit pas aux formules toutes faites dans lesquelles on a cherché à l’enfermer. Déjà, il y a un Rousseau « littéraire », le merveilleux prosateur des Confessions, de La Nouvelle Héloïse et des Rêveries du promeneur solitaire, et il y a le Rousseau théoricien politique, celui...