La gauche a-t-elle trahi ?
Souvent, les militants et les électeurs de gauche, déçus, dépités, désillusionnés, s’en prennent aux « trahisons de la gauche ». Si la gauche n’avait pas trahi, nous n’en serions pas là, pensent-ils, à tort ou à raison. Que faut-il penser de cette rhétorique de la trahison ?
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On a de bonnes raisons de parler de trahison. Le traître est un des pires personnages historiques et c’est à raison que Dante envoie les traîtres dans le neuvième et dernier cercle de l’enfer, là où sont administrés les pires châtiments. Le traître est celui qui abandonne (au combat, il s’enfuit et laisse ses camarades se faire tuer), celui qui se soumet (à l’usurpateur, au conquérant) ou encore celui qui livre ses amis au bourreau. À cette aune, l’histoire de la gauche ressemble à une longue suite de trahisons.
En 1914, la social-démocratie internationale qui avait juré ses grands dieux qu’elle ne soutiendrait jamais la guerre, qu’elle n’enverrait pas les prolétaires tuer d’autres prolétaires, a trahi toutes ses résolutions de congrès, voté les crédits de guerre dans chaque pays et parfois intégré les gouvernements d’union nationale. En 1936, moyennant quelques concessions sociales, la gauche s’est faite, selon les mots de Léon Blum, « le gérant loyal du capitalisme ». On ne pouvait pas dire mieux. L’Espagne fut abandonnée aux hordes franquistes pendant que s’installait en URSS l’épouvantable dictature stalinienne trahissant toutes les promesses révolutionnaires de la révolution d’Octobre. En quelques années, en France, tout l’élan révolutionnaire de la Libération a été gaspillé et le détricotage du programme du Conseil national de la résistance a commencé. Élue en 1956 pour faire la paix en Algérie, la gauche mène la guerre à outrance. En 1981, quelques mois suffisent pour renier les promesses : dès l’automne, Delors réclame la pause et Mitterrand cire les chaussures de Reagan à l’été 1982… Et ainsi de suite, de toute la période du mitterrandisme et de son avatar, « la gauche plurielle (1) ». La dernière grande trahison en date est celle de Mélenchon, un homme qui avait suscité beaucoup d’espoirs en 2017 et qui, depuis 2019, renie une à une toutes ses...