Pourquoi les intellectuels se trompent, Samuel Fitoussi, éd. de l'Observatoire

Les intellectuels du XXe siècle ont parfois (souvent) mis leur intelligence au service de la justification des pires absurdités. Samuel Fitoussi s’emploie à élucider cet étrange paradoxe.

Peut-être connaissez-vous la phrase de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Quoi de plus banal que de voir ce que l’on voit ? Les choses sont plus compliquées, comme le montre Samuel Fitoussi dans ce livre qui s’appuie sur les études en psychologie cognitive et comportementale pour tenter de démêler un paradoxe : si, comme le veut la croyance commune, la figure de l’intellectuel est, par définition, prédisposée à voir et à comprendre au mieux le monde (c’est même la raison d’être de l’intellectuel que de réfléchir pour proposer une grille d’analyse du monde), comment se fait-il que l’histoire regorge d’exemples d’intellectuels ayant aveuglément soutenus les pires théories et les pires régimes (donc les pires crimes). « À la conférence de Wannsee (ndlr : celle qui, en 1942 à Berlin, réunit 15 hauts dignitaires nazis pour organiser la “Solution finale de la question juive”), plus de la moitié des participants détenaient un doctorat », rappelle froidement l’auteur. Il est en effet assez facile de démontrer que ceux qui entretiennent la plus grande fascination pour les totalitarismes sont presque toujours des intellectuels cultivés.

Une raison déraisonnable

En fait, la fonction de la raison dans le cerveau humain n’est pas prioritairement de chercher la vérité. Par un mécanisme évolutif, la première fonction de la raison est sociale, c’est-à-dire qu’elle prédispose les humains à raisonner dans le but d’être bien vus des autres membres du groupe. Ce qui explique le rôle évolutif de nos biais cognitifs et pourquoi la raison est naturellement conformiste. Fonctionner...