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Chapitre 2 - L’hydre européen : l’Etat enchaîné

ENTRETIEN. Pour qualifier le lent délabrement de l’Etat français, Marcel Gauchet a parlé d’une « étrange défaite en temps de paix ». C’est de cette étrange défaite dont l’économiste Frédéric Farah fait le récit minutieux dans son dernier ouvrage intitulé Fake State (2020) chez H&O. Deuxième partie de notre entretien.

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Front Populaire : Battre monnaie est historiquement un pouvoir régalien. Pour accepter d’abandonner notre monnaie nationale, il fallait considérer, avec la vulgate néo-classique, que la monnaie n’est qu’un instrument désincarné, apolitique. Vous contestez absolument cette thèse. Pourquoi ?

Frédéric Farah : L’approche fonctionnaliste de la monnaie loupe l’essence de la monnaie qui est l’expression d’un pouvoir, d’une communauté de confiance. Anthropologiquement, elle a à voir avec le désir, la violence. La monnaie porte une histoire, elle n’est pas juste quelque chose comme un avantage par rapport au troc. Croire que c’est simplement un instrument, revient à penser que l’euro peut devenir demain l’instrument d’un progrès social, en somme on en ferait ce que bon nous semble. La monnaie c’est du politique, du social avant toute chose. Les travaux d’Aglietta et d’Orlean sont fondateurs à ce sujet.

FP : Vous expliquez que l’euro est une monnaie absolument dysfonctionnelle, une « camisole de force » adossée à une vision dogmatique de l’économie qui n’a tenue aucune de ses promesses. L’euro « monnaie inique », dites-vous ironiquement. Au nom de quoi a-t-elle été promue et quels sont les principaux griefs à son encontre ?

FF : Il faut situer l’euro dans sa fonction de discipline du monde salarial et de réduction de sa capacité de négociation. C’est une discipline aussi pour contenir le périmètre de la protection sociale et d’en modifier la nature. La monnaie unique est venue compléter l’œuvre terrible du Marché unique, ce dernier ayant déjà préparé le terrain en sacralisant la liberté des capitaux, arme de destruction massive contre le droit du travail et la protection sociale. La clause dit de « non renflouement » en cas de difficultés financières présente dans le traité de Maastricht plaçait les États sous une discipline de marché terrible, celle des marchés financiers, bien plus efficaces que toutes les règles européennes réunies....

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