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D’un siècle l’autre

CRITIQUE. Régis Debray est philosophe et médiologue. Après une vie tournée vers l’élucidation des mystères de la condition politique, il propose un bilan, une mise au clair pour se débarbouiller l’esprit. D’un siècle l’autre, chez Gallimard, est une brillante randonnée dans le dédale des dernières décennies.

/2021/01/Debray, d'un siècle l'autre, Gallimard

« Les philosophes ont la chance d’avoir Minerve pour déesse protectrice. Sa chouette prend son vol au crépuscule. Heureuse coïncidence, c’est là où j’en suis. » Selon la métaphore hégélienne, la vérité étant une totalité en mouvement, la philosophie ne peut en effet saisir pleinement une époque historique qu’à l’heure de son achèvement. Cela implique un vieux principe de philosophie de l’histoire qu’on appelle l’hétérotélie : les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font. Ils découvrent les lois du réel à mesure qu’ils s’y cognent. C’est ainsi que le jeune bourgeois Régis Debray a débarqué dans les années 1960 en Amérique latine, lettré jusqu’aux dents, pour y organiser la révolution, jusqu’à ce que la pratique et le terrain lui apprennent le vouvoiement. C’est à ce prix qu’on peut extraire d’une expérience personnelle une vérité générale. « La première conclusion à tirer de la mienne fut celle-ci : la géographie a bien plus d’importance que la philosophie ». Comprendre : c’est à la pratique de donner le ton à la théorie, et jamais l’inverse, sans quoi on se prépare des réveils pénibles. C’est là toute la démarche qui a présidé à l’écriture de cet ouvrage aux allures testamentaires : traquer dans un parcours personnel à cheval entre deux mondes, l’ombre des vérités collectives.

D’un siècle l’autre, donc. Tel est le programme. « Ma génération a eu le privilège d’avoir vu mourir un monde et en naître un nouveau. Le passage du siècle américain au siècle asiatique aura un jour ses historiens. En France, et plus modestement, nous sommes passés des ultimes soubresauts d’un court siècle rouge aux premiers vagissements du siècle vert. » Le passage d’homo historicus à homo zoologicus, en quelque sorte, la victoire de Gaïa sur Prométhée, celle de la nature sur l’histoire. Il y a plusieurs explications à cela : d’abord, le changement...

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