Le pot à lait
CHRONIQUE. Tout au long de l'été, notre camarade Jean-Paul Pelras nous incite, avec ces chroniques champêtres, à nous replonger dans ce flot de souvenirs qui font notre identité collective. Aujourd'hui, un peu de lait...
Évidemment, si le pot à lait de Perrette avait été en aluminium, il ne se serait jamais brisé. Et La Fontaine, gros Jean comme devant, n’aurait pu écrire sa fable. Du coup, la belle aurait eu ses châteaux en Espagne et nous n’aurions jamais dit à tout bout de champ « adieu veau, vache, cochon, couvée ».
Nous voici donc dans cette étable où, bien avant que l’Europe ne condamne les burons et vienne tout aseptiser, autochtones et estivants se rendaient, à l’heure de la traite, pour acheter leur litre de lait. Bien évidemment, en ce qui me concerne, ce souvenir remonte au temps des grandes vacances passées du côté d’Aumont-Aubrac en Lozère. L’oncle, la tante, les petits tabourets à trois pattes, la pince en fer blanc placée sur la queue des vaches à cause des mouches qui avaient échappé aux tortillons gluants, les bidons, le gros entonnoir pour filtrer, les chats qui venaient boire la mousse jetée sur le ciment, la source dans le pré où on laissait le lait toute la nuit avant le passage des gens de la laiterie, l’odeur du foin coupé…
Et puis, un peu plus tard sous la lampe jaune, la soupe de rave ou de pain trempé, les assiettes Arcopal à grosses fleurs, le Duralex des familles, le canon de rouge tiré au tonneau, l’assiette retournée pour le dessert, le café que l’on remuait avec le manche de la fourchette ou la pointe du couteau.
Enfin, la fraîcheur de la nuit, l’édredon, dans la chambre d’à coté, à deux voix, la prière en patois. Et tous ces rêves de lendemain qui parlaient de Gévaudan, de bêtes à chasser, de myrtilles, de cerf volant, de troupeaux à conduire, de chiffons rouges et d’éternité.