L’échelle dans l’arbre
CHRONIQUE. Tout au long de l'été, notre camarade Jean-Paul Pelras nous incite, avec ces chroniques champêtres, à nous replonger dans ce flot de souvenirs qui font notre identité collective. Aujourd'hui, une échelle...
Aubrac, 2014. Quelque part entre le hameau de Born et la Croix de la Rode. Nous patrouillons pour débusquer le cèpe et la girolle, comme vous le faites au même moment dans la Montagne Noire ou du côté de Boucheville.
A part quelques boutons de guêtre appelés mousserons sous ces latitudes auvergnates et corioletas dès qu’il s’agit de les prélever sur les pâturages cerdans, rien de très concluant en apostille des sentiers. Sauf, bien sûr, quelques solides broutards et autres génisses en pâmoison au rayon des bovins apparentés.
Et puis, il y a cette échelle en aluminium qui, disons le franchement, n’a rien de très bucolique avec son premier barreau plié. Si ce n’est le souvenir qu’elle suscite. Coincée dans les moignons de ce qui doit être un frêne émondé, elle a probablement été laissée là par son propriétaire. Lequel l’utilise à coup sûr pour couper quelques branches destinées aux clapiers.
Alors bien entendu, nous pensons à nos grands-mères qui revenaient avec une brassée de vesce, de pissenlit ou de luzerne enroulée dans leurs tabliers. Mais nous pensons aussi à ces belles après-midi d’été où, comme dans la chanson de Cabrel, nous voyions danser, par le jeu des transparences, ces fruits dans les plis du tissu qui balancent.
Tout le monde n’a pas eu le malheur de connaître une enfance heureuse, me confiait un jour l’écrivain gardois Jean Carrière. Celle faite d’instants subliminaux que l’on ne parvient plus à retrouver car les protagonistes ont disparu, car les odeurs ont changé, car les couleurs ont perdu leur éclat. Ou, tout simplement, car l’échelle n’est plus posée au même endroit.