Les billes
CHRONIQUE. Tout au long de l'été, notre camarade Jean-Paul Pelras nous incite, avec ces chroniques champêtres, à nous replonger dans ce flot de souvenirs qui font notre identité collective. Aujourd'hui, cour de récréation...
La boîte en question est en fer blanc et a du, voilà plus de quarante ans, contenir des biscuits. Elle à donc échappé aux grands nettoyages qu’imposent les déménagements et certains bilans orageux. A l’intérieur : des billes. Au moins deux cents. Je le sais, car je me suis souvenu de ce nombre auquel j’essayais autrefois de ne jamais déroger pour ne pas avoir à reconnaître quelques cuisantes et humiliantes défaites.
Car la bille, qu’on le veuille ou non, sertie entre le pouce et l’index, préfigure en quelque sorte le premier acte capitaliste. Celui qui nous fait prendre la mesure de ce que l’on peut perdre ou remporter. D’où peut être l’expression « placer ses billes », les « reprendre », « rouler des billes interloquées » ou, le cas échéant, « jouer comme une bille ».
Propulsée dans la terre battue ou sur le goudron de nos venelles villageoises, les billes appartiennent incontestablement à cette culture enfantine qui déclinait ses règles héritées d’une génération à l’autre depuis la Grèce antique où l’on pratiquait la troppa jusqu'à ces collectionneurs contemporains qui les négocient à prix d’or.
Le tac, la poursuite, l’enclos, la capite, le trou ou le cercle nous faisaient jeter, dans les rigoles de l’enfance et sous les préaux de nos cours de récréation, des dizaines de sphères bariolées couleur pétrole, cuivre ou encore appelées œil de chat, araignées, bulle d’eau, poisson clown, américaine, terre et autre galaxie. Achetées au bureau de tabac, à l’unité quand il s’agissait d’un boulard ou dans des petits filets à la douzaine, elles traînaient souvent, d’un été à l’autre, au fond de nos poches ou dans nos trousses d’écoliers, parmi les crayons et les gommes.
Et plus que ces moutons auxquels l’on voulait absolument nous faire croire, c’est bien ces dizaines de billes perdues ou gagnées que nous comptabilisions, le soir venu,...