Résister à la modernité
CRITIQUE. Après sept années d’existence, Philitt, revue littéraire fondée par Matthieu Giroux, paraît pour la première fois sous forme de recueil : Résister à la modernité, Philitt 2014-2020, aux éditions du Rocher. Une invitation à découvrir l’immense continent de la pensée « antimoderne ».
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Le projet moderne s’inscrit doublement, à la fois philosophiquement, avec Descartes, et scientifiquement, avec Galilée. Descartes abolit l’ancienne tradition par l’esprit critique et décide de ne tenir pour vrai que ce dont son esprit ne peut douter. L’arche de la connaissance est entièrement refondée à partir du sujet pensant. Galilée instaure la science moderne sur les cendres de l’ancienne physique d’Aristote et introduit le principe d’inertie dont va dériver le principe de raison selon lequel tout effet à une cause. L’univers devient mécanique et le sujet humain, son nouvel architecte.
La rationalité devient « rationalisme » et la Raison prend des atours d’absolu. L’homme peut, en droit, par la puissance de son esprit, atteindre le point de vue d’un Dieu dont il ne tardera pas à proclamer la mort. L’humanité entre dans l’ère de la technoscience, une ère « faustienne » où il n’est plus tant question de contempler le monde que de le transformer par l’élan toujours reconduit de la conquête. Le projet est annoncé : rendre l’homme « comme maître et possesseur de la nature » (Descartes). Cette modernité est portée durant tout le 18èmesiècle par l’idéologie d’un Progrès pensé comme une ascension linéaire vers le bonheur universel, puis orchestrée, au siècle suivant, par le bouleversement sans précédent de la révolution industrielle.
Et alors ? Un nouvel homme émancipé du poids des anciennes traditions peut désormais revendiquer la pleine autonomie sur ses destinées, reconfigurer la nature, reprogrammer le monde. Qu’aurait-on à redire à cela ? Beaucoup de choses, précisément, car la médaille n’est pas dénuée de revers. Et quel revers ! Dans ses Carnets d’un vaincu, le moraliste colombien Nicolas Gomez Davila note : « La civilisation est un épisode qui naît avec la révolution néolithique et meurt avec la révolution industrielle. » La question est donc de savoir – gigantesque angle mort - si le capitalisme technoscientifique qui s’est...