Affaire Crypto : la neutralité suisse écornée
ANALYSE. Le scandale Crypto écorne l'image de la Suisse. Pour la commission parlementaire : les services de renseignement savaient, pas les politiques... Si tel est le cas, que signifie le modèle démocratique suisse, tant vanté, où les barbouzes sont incontrôlables ? A moins que les services ne servent de fusibles aux compromissions des politiques.
L'industrie suisse (Crypto AG, mais aussi Infoguard) a vendu, des décennies durant, des machines de cryptage dotées d'une "porte cachée" permettant le décodage. En soi, c'est une escroquerie industrielle. Une centaine d’États clients ont été abusés, dont certains (tel l’Iran) étaient dans le viseur des États-Unis. Mais le scandale va plus loin. La CIA et le BND (renseignement allemand) étaient les véritables instigateurs, la CIA acquérant même 100% du capital d'une société-écran basée au Luxembourg.
L’affaire semble sortie d’un roman d’espionnage de John le Carré. Crypto AG (AG = SA en français), est une société de droit suisse fondée en 1952 par le Suédois Boris Hagelin. Celui-ci avait hérité de l'entreprise de Arvid Gerhard Damm qui construisait des machines de chiffrement à partir d'un brevet suédois déposé en 1919. Après la mort de Damm et peu avant la Seconde Guerre mondiale, Hagelin prit sa direction. Durant la guerre, la société est dirigée depuis les États-Unis et à la fin du conflit, les activités sont transférées de la Suède vers la Suisse.
La Suisse officielle arbore sa neutralité, pourtant mise à mal au fil des décennies. Pendant la Première guerre mondiale, l’affaire des colonels avait prouvé que des cadres de l’armée avaient transmis des informations sur les alliés aux attachés militaires allemands et austro-hongrois. Couverts par le chef d’état-major général, ils bénéficieront de l’indulgence politique et judiciaire. Pendant la 2ème Guerre, la Suisse et ses banques se sont compromises avec les nazis, non sans héberger à Berne l’OSS, ancêtre de la CIA. Pendant la guerre froide, l’organisation secrète P 26 s’insérait dans le dispositif global Stay Behind, piloté par l’OTAN, même si des puristes soucieux de virginité helvète remarquent que les instructeurs chargés des entraînements auraient été britanniques et non américains. Les relations avec l’Afrique du Sud...