De la globocratie en Europe
CONTRIBUTION / OPINION. Déracinée, cosmopolite, individualiste... L'eurocratie bruxelloise ressemble en tous points à la « nouvelle classe méritocratique » américaine, fustigée par Christopher Lasch. La sécession des élites, l'autre mauvais génie de l'Europe importé de l'Amérique.
En 1835, dans son essai De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville exposait comment les Américains avaient transplanté dans leur nouveau pays et adapté à leurs besoins le système démocratique tel qu’ils l’avaient connu en Europe. S’il revenait aujourd’hui, il ne serait pas peu surpris de voir comment le système démocratique américain a évolué vers une forme moderne de système aristocratique, la globocratie. Il serait surtout émerveillé de constater que ce nouveau système est retourné — ironie de l’histoire — sur ses terres d’origine.
Dans La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, paru en 1995, un an après sa mort, l’historien et sociologue américain Christopher Lasch fustigeait la « nouvelle classe méritocratique », dont les membres se caractérisent par « l’absence de racines, le cosmopolitisme, le sentiment de ne rien devoir à personne, et des réserves de patriotisme en baisse », et qui « conservent beaucoup des vices de l’aristocratie sans en avoir les vertus, dans le sens où ils ne ressentent pas d’obligations à titre de réciprocité comme dans l’aristocratie. »
La confiscation de la démocratie en Amérique
Aux États-Unis, on voit ainsi que le pouvoir est distribué entre familles patriciennes, bostoniennes d’origine pour la plupart, sénateurs et représentants élus, notables républicains et démocrates, chefs d’entreprise, fonds d’investissement, banquiers, patrons d’entreprises culturelles ou de divertissement, possesseurs de journaux ou de chaînes de télévision, lobbies communautaires ou non, dirigeants de fondations philanthropiques ou d’établissements d’enseignement supérieur et hauts fonctionnaires de « l’État profond ». Loin de la séparation des pouvoirs, principe associé depuis plusieurs siècles à la démocratie, le système américain repose donc sur une multiplication des pouvoirs, qui s’opposent ou collaborent, en fonction de la fluctuation de leurs intérêts, dans une sorte de mouvement brownien, que relance et légitime chaque élection présidentielle, en désignant une tête de gondole, représentant...