Jean-Michel Salmon : « La prétendue désaffection des Britanniques pour le Brexit est une vue de l’esprit »
ENTRETIEN. Le 31 janvier 2020, il y a quatre ans, le Royaume-Uni se retirait officiellement de l'Union européenne. Depuis, la machine à propagande n'a pas faibli : le Brexit aurait été une catastrophe pour les Britanniques… Mais qu'en est-il vraiment ? Nous avons interrogé l'économiste Jean-Michel Salmon, auteur du Grand abécédaire du Brexit (éd. des Trois colonnes, 2021)
Front Populaire : Quatre ans après la prononciation du divorce entre l’UE et le Royaume-Uni, tout le monde fait les comptes. La presse convenue décrit une atmosphère de morosité quasi unanime. Selon le dernier sondage Opinium, seulement 22% des Britanniques estimeraient que la sortie de l’UE a eu un effet positif sur le pays. Comprenez-vous ce sentiment de regret ?
Jean-Michel Salmon : « Faire les comptes », oui ! Mais toute la difficulté est de savoir lesquels. En effet, la presse mainstream étant ouvertement et quasi-exclusivement « UEphile » – comme je l’ai montré dans mon ouvrage Le Grand Abécédaire du Brexit –, elle donne le plus large écho possible aux sondages outre-Manche qui cherchent à montrer une désaffection du public pour le Brexit, afin d’auto-alimenter ce sentiment.
Or, les citoyens britanniques subissent, comme ceux de tous les pays du continent européen et d’ailleurs, les conséquences des deux crises inédites : la pandémie du Covid et la guerre en Ukraine. Cex deux chocs ont successivement provoqué, depuis 2020, l’année du début de mise en œuvre du Brexit, une forte récession suivie d'une sévère stagflation – c'est-à-dire une faible croissance combinée à une forte inflation.
Dans ces circonstances difficiles, il est logique que l’électorat soit désenchanté. Mais les difficultés macroéconomiques, que ce soit au Royaume-Uni ou bien sûr sur le continent, ne sont pas causées par le Brexit, même si c’est la thèse mensongère que les médias mainstream de part et d’autre de la Manche cherchent à faire accroire s’agissant d’Albion.
Mais même dans ces conditions extrêmement défavorables, la prétendue désaffection des Britanniques pour le Brexit est dans une certaine mesure une vue de l’esprit. À la question de savoir si la décision de « quitter l’UE était une erreur », le plus souvent la réponse estimée par les sondeurs est certes un « oui », mais seulement par une courte majorité...