Géopolitique Balkans

Olivier Delorme : « Engager des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord relève de l’irresponsabilité »

ENTRETIEN. Après l'Ukraine, la Macédoine du Nord et l'Albanie : la machine à élargir l'UE tourne à plein régime. L'occasion pour l'historien Olivier Delorme, auteur de La Grèce et les Balkans (3 tomes, Gallimard, 2013) et de 30 bonnes raisons pour sortir de l'Europe (H&O, 2017), de décrypter les ambitions de Bruxelles dans les Balkans.

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Front Populaire : Les États-Unis, par la voix du Secrétaire d’État Anthony Blinken, ont été parmi les premiers à saluer la décision des parlementaires macédoniens de préparer les « prochaines étapes du chemin vers l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’UE ». Comment interpréter cet enthousiasme ?

Olivier Delorme : En mars 2020, la Macédoine du Nord est devenue le 30emembre de l’OTAN, après la signature de l’Accord gréco-nord-macédonien de Prespes en juin 2018, qui levait le double veto grec à la candidature de ce pays à l’UE et à l’OTAN.

La ratification de cet accord par les Parlements grec et nord-macédonien n’avait été acquise alors qu’au prix d’intenses pressions sur les députés récalcitrants de la part des ambassades allemande et états-unienne ainsi que, disent les mauvaises langues, de quelques valises de billets. C’est que, selon les sondages, les opinions des deux pays étaient hostiles à cet accord, ce qui n’a pas été pour rien dans la cinglante défaite électorale d’Alexis Tsipras et de Syriza lors des élections locales, européennes et législatives [1] grecques de 2019. Et en Macédoine du Nord, la participation au référendum consultatif sur l’accord se solda par une abstention, prônée par l’opposition qui rejetait cet accord, de plus de 63 % (5,65 % des votant se prononçant de surcroît pour le Non).

La situation semble aujourd’hui identique : si les dirigeants actuels sont pro-américains (au début du mois de juin dernier, la Macédoine du Nord et la Bulgarie ont fermé leur espace aérien à l’avion du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, qui devait se rendre en visite en Serbie) et souhaitent l’intégration à l’UE, de larges franges de la société en Macédoine du Nord comme en Bulgarie restent très proches de la Russie pour des raisons historiques, culturelles, religieuses (ne disait-on pas que la Bulgarie serait sans doute devenue une République de l’URSS si elle avait eu avec elle une frontière commune ?). Le gouvernement bulgare, qui vient de signer le protocole d’accord avec la Macédoine du Nord, a d’ailleurs été renversé par son Parlement le 22 juin, après le départ de la majorité d’un des quatre partis (« Il y a un tel peuple ») qui la composaient, lequel est hostile aux sanctions européennes contre la Russie et à la livraison d’armes à l’Ukraine – hostilité que partage, même si c’est à un moindre degré, le Parti socialiste bulgare également membre de cette défunte majorité, ainsi que, en Macédoine du Nord, le principal parti d’opposition.

Pour Washington, engager le processus d’adhésion de la Macédoine du Nord, c’est donc renforcer un flanc slave de l’OTAN, affaibli par le différend bulgaro-macédonien, et...

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