Art

La déliquescence de l’art

CONTRIBUTION/OPINION. À vouloir poursuivre un inventaire trivial du réel total et absolu, perdu dans le monde du concept, l’artiste a aujourd’hui perdu le sens profond de sa discipline.

/2023/03/Art-Contemporain


On a coutume de dire qu’on exerce une activité artistique à ses heures perdues. Quelle vilaine expression ! Quel sordide partage de son temps, pour qui veut bien siliconer les trous existentiels de l’ennui ! Nous qui ne savons plus nous ennuyer, nous qui par-dessus le marché, préférons nous abrutir d’iconographies morbides, éviscérant notre âme sous le flot de pixels et d’images numériquement chamarrées. Année après année, les technosciences prennent toujours plus de place, grignotent des terrains naguère favorables à des activités humanisantes, socialisantes, civilisatrices, en conséquence de quoi, l’art se retire sur des îlots, voire des atolls de résistance toujours plus petits, toujours plus fragiles. La technique massacre les sciences humaines, le langage managérial s’immisçant toujours plus inocule les chiffres dans les mots. Pour reprendre la formule de Paul Valéry : « L’homme sait ce qu’il fait, mais ne sait pas ce que fait ce qu’il fait », admettant une visée utile utilitaire stricte, qui balaie toutes les dimensions éthiques, conscientisées, l’homme tout à coup réductible à un anthropoïde manoeuvré, glaise amorphe savamment étiquetée « ressources humaines », à l’instar de Néo, sorti du puits hypnotique, découvrant ce champ d’humains-légumes contrôlé par les machines dans l’antre de la matrice.

Nous ne voulons pas des démiurges ayant tué la mort


Une machine n’a pas de conscience. Or, nous en prenons toujours plus le chemin, la route de la mouche décérébrée s’écrasant sans cesse sur les vitres opaques. Alors sans doute le corsetage salvateur et non la servitude, émanera-t-il d’horizons civilisationnels, des mains en visière qui justifièrent le redressement du dos, et la station debout nous cassant les lombaires aujourd’hui, mais qui permirent de nous étonner de rien, d’un camaïeu rouge orangé, crépuscule d’un jour, incarnation métaphysique et physique d’une petite mort si essentielle et si dérisoire, Achille déclamant avec emphase : « les Dieux jalousent les hommes parce...

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