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Le complotisme, une antique pathologie du pouvoir

OPINION. De plus en plus fréquemment employé, le procès en complotisme est loin d’être une nouveauté historique. De Créon au Pentagone, cet anathème a toujours été utile aux hommes de pouvoir pour le conserver.

/2021/04/COMPLOTISME

Le monde politico-médiatique est un espace dans lequel une accusation se voulant socialement létale s’épanouit tranquillement : celle de « complotisme ». Bien que le terme soit de fraîche date, la chose était déjà présente dans la littérature grecque d’il y a deux mille cinq cents ans.

En effet, Sophocle nous décrit cette forme de paranoïa dans son célèbre chef d’œuvre Antigone, dont il n’est pas inutile de résumer la substance : à peine installé sur le trône de Thèbes, Créon expose sa toute première décision ; déclarant son défunt neveu Polynice ennemi de la cité, il condamne son âme à l’errance par une interdiction des rites funéraires et tout transgresseur à être lapidé par les Thébains. Sa nièce Antigone tient le décret pour illégitime car empiétant sur le domaine des divinités. Elle va nuitamment accomplir les rites et se faire prendre. La suite voit se dérouler l’implacable mécanique du tragique, qui va briser l’orgueil royal.

La métamorphose que subit le roi de la superbe inaugurale à l’effondrement final — un parcours à valeur psychothérapeutique — est l’aboutissement d’une suite d’échanges conflictuels avec son entourage. Créon va devoir ainsi faire face à deux séries d’affrontements, mineurs (le Coryphée, le Garde, puis sa nièce Ismène) et majeurs (Antigone, son fils Hémon, puis le devin Tirésias). Il importe de noter que ces deux séries de personnages représentent les trois fonctions de la société idéale indo-européenne (autorité, pouvoir, production), selon l’ordre hiérarchique normal pour le premier, inverse pour le second. C’est donc la cité dans son entièreté qui intervient ici, à travers ces figures de représentation, ce qui souligne la légitimité de la contestation.

Alors qu’il vient d’exposer avec aplomb au Chœur des vieillards thébains — réputés sages — sa philosophie politique (s’attacher « aux meilleurs avis ») et se proposer à l’épreuve de l’établissement de...

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