Le mythe de l’artiste ex nihilo
CONTRIBUTION / OPINION. Entre le mythe du génie inné et la tentation du médiocre et du pastiche, il y a un monde dans lequel se déploie le véritable artiste. Celui qui, imprégné des œuvres qui l’ont précédées, compose la sienne et l’offre au monde.
On entend souvent dire chez les artistes, et notamment chez les écrivains, qu’ils ne s’inspirent pas des autres, de peur de dissiper leur style sous le flot de pastiches kaléidoscopiques. Comme si, l’impression et le téléchargement d’images mentales de prédécesseurs talentueux risquaient, à terme d’abîmer, d’éroder la marque et le sceau idiosyncrasique du maître d’œuvre. Persiste, très largement d’ailleurs, la doxa coutumière selon laquelle, copier les autres, s’abreuver des poètes, écrivains, peintres, musiciens ayant marqué leur époque, serait la marque faible et indigente dans sa dimension inspirante, des copieurs, voleurs d’idées, artistes sans talent, incapables d’engendrer leur propre style, à partir d’eux-mêmes. À ce compte là, nous sommes tentés de penser par nous-mêmes, au lieu de penser contre nous-mêmes, de penser par les autres, de forger notre identité artistique moulée dans les modèles émancipateurs des influenceurs légitimes, pas ceux que l’on retrouve sur la toile des réseaux, vous l’aurez compris.
On vit, semble-t-il, une époque d’enfonceurs de portes ouvertes. Une époque starifiante, où la cosmétique dissimule un vide quantique sans commune mesure, un vide abyssal où l’identité embryonnaire peine à sortir la tête de l’eau. Et l’art n’échappe pas à la règle, ploie sous le joug d’injonctions à découvrir son style par le biais de raccourcis faciles, de méthodes toutes faites, de préfabriqués de la pensée, d’éléments de langage et de notices « pour les nuls », parce que nous avons perdu l’habitude de prendre le temps, parce que nous n’avons plus la patience de lire, de noter, de consigner, de transfigurer, de digérer, d’incuber, dans un temps long, nos desiderata insatiables à aller toujours plus vite. Même la SNCF, s’y est mise, le slogan titrant, « Prenez le temps d’aller vite » comme si l’on pouvait encore se consacrer un temps imparti à l’ascèse, à la méditation ou faire le lotus au milieu...