L’économie va devoir fonctionner dans l’ombre du politique et du militaire
OPINION. La crise sanitaire a lancé les premières pierres sur le tissu économique mondial. Mais c’est la crise ukrainienne qui risque de définitivement mettre un terme au primat de l’économie dans l’ordre mondial.
Construites à partir d’une foule d’ingrédients (doctrine du libre-échange, liberté de circulation du capital, infrastructures logistiques, sécurisation financière des échanges, etc.) d’immenses chaînes de valeur extrêmement complexes se sont tissées sur la planète et ont fonctionné avec la précision d’un juste à temps garanti. Tous les biens et services, des plus simples jusqu’aux plus complexes, arrivaient dans les entrepôts, usines, bureaux ou sur les tables des consommateurs avec une précision horlogère et ce, sans la sécurité des stocks que l’on constituait jadis. À cette époque, la logique du « faire faire » l’emportait sur celle du « faire » et toutes les institutions « s’horizontalisaient » : les usines classiques pouvaient être largement remplacées par des échanges et même les États étaient invités à réduire drastiquement le périmètre de leurs activités. Certains d’entre eux, véritables fossiles, n’étaient plus que de simples régulateurs de la grande toile des échanges (Union européenne). Cette horizontalisation sans limite du monde avait aussi pour conséquence une nouvelle anthropologie : le rapport de l’individu à autrui ne s’inscrivait plus sous l’angle de l’autorité, mais celui du simple marché. La perspective finale d’un tel monde devenait ainsi enchanteresse : fin des guerres entre États désormais muselés ou édentés, amélioration économique continue, émancipation généralisée et fin de toutes les formes de soumission. Avec, évidemment, une contrepartie : les difficultés éventuelles au cours d’une vie deviennent strictement personnelles et rarement des questions sociales. Bref, à l’affaissement institutionnel correspondait un individualisme croissant.
Pour autant, cet emballement du marché et de la toile économique mondiale qu’il générait pouvait, déjà avant la crise sanitaire, être largement interrogé.
Deux interrogations
Une première question résultait de la prise de conscience de la fragilité de la toile mondiale. On savait déjà que la prospérité engendrait la naissance de produits ou services de plus en plus complexes dont les éléments étaient produits en divers points de...