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Lettre à un ami journaliste

OPINION. Entre conformisme idéologique, pressions financières et déni de réalité, la profession de journaliste souffre de beaucoup de maux, qui rendent la défiance des citoyens on ne peut plus légitime. Et quoi de mieux que l’expérience d’un journaliste pour mettre des mots sur le malaise qui abîme le métier...

/2021/08/JOURNALISME

Cher ami,

Voilà une quinzaine d’années, conjoncture agricole oblige, je troquais le tracteur contre l’ordinateur pour devenir journaliste. Pigiste, j’écrivais alors des feuillets au kilomètre pour gagner ma vie, tout en essayant de composer avec la condescendance de certains confrères. Lesquels, forcément plus instruits que moi, « avaient fait l’école de journalisme », alors que j’avais dû claquer la porte de l’Éducation nationale quelque part au large de mes 14 ans.

Ayant conservé ce regard paysan qui nous tient à bonne distance des illusions et des contrefaçons, j’ai découvert un métier comparable à celui des ecclésiastiques, des juges, des médecins. Sauf qu’ici, à bien y regarder, certains passaient plus de temps à juger qu’à absoudre ou à soigner. J’ai alors entendu parler de déontologie, d’objectivité, de liberté d’expression, d’esprit critique… Et je croyais être tombé du bon côté du Rubicon. Celui où l’on ne se trompe jamais, où la vérité relève de la conscience, où ce qui est écrit n’est jamais travesti par les apparences.

J’étais fier, tu comprends, moi le fils de l’ouvrier qui avait brûlé tant d’étapes et qui signait désormais ses articles, qui était lu par des milliers de gens, à qui l’on téléphonait pour savoir si je pouvais « faire un papier » sur tel ou tel sujet. Et puis voilà qu’au bout de quelques années, le directeur d’un quotidien me fit comprendre qu’il me fallait mettre un peu d’eau dans mon vin. Il me conseilla même de ne plus indiquer mon nom « au bas du parchemin » pendant quelque temps parce qu’un gérant de supermarché n’avait pas apprécié de voir son enseigne nommément citée. Parce que le cuistre menaçait de supprimer les insertions publicitaires et le montant non négligeable qui leur était adossé. C’est à ce moment-là que tout a basculé.

De la fierté à la honte

Brel disait dans...

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