politiqueMichel Onfray
Non, Michel Onfray ne mènera pas la liste de Dupont-Aignan pour les européennes
ARTICLE. Dimanche 18 juin. Presque à l’unisson, la quasi-totalité de la presse nationale titre sur le peu qu’elle a pu se mettre sous la dent ce jour : Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout La France, annonce une liste souverainiste en vue des élections européennes de 2024. Une liste que pourrait mener Florian Philippot… ou Michel Onfray ? Quelques clarifications s’imposent.
L’AFP bâtonne, et l’ensemble des médias suit en cadence : le processus est connu. Il y a quelques jours, le dimanche 18 juin, date symbolique pour les souverainistes de tous les horizons, c’est Nicolas Dupont-Aignan – et Michel Onfray, par ricochet - qui en a fait les frais. Le matin même, le président de Debout La France est l’invité du « Grand rendez-vous » Europe 1– CNews – Les Échos ; là, au micro de Sonia Mabrouk et de Mathieu Bock-Côté, il est sommé de répondre aux questions qui lui sont posées, et d’en esquiver le moins possible. C’est l’exercice, et Dupont-Aignan s’y plie.
La machine médiatique a eu le temps de se mettre en branle : peu de temps après, les premières reprises de dépêche apparaissent. « Européennes 2024 : Nicolas Dupont-Aignan annonce une liste « Debout la France » », titre Le Figaro ; Ouest France : « Nicolas Dupont-Aignan annonce une liste Debout la France aux élections européennes » ; exactement le même titre chez 20 Minutes ; « Dupont-Aignan annonce une liste "Debout la France" aux Européennes », annonce Le Point ; etc. Bref, la presse s’est donné le mot, comme c’est l’usage. Le Figaro écrit ainsi, dès le chapô de son article : « Le député de l'Essonne indique que Florian Philippot ou Michel Onfray pourraient se présenter sous ses couleurs. » Plus bas : « Le député DLF, qui ne souhaite « pas obligatoirement mener » cette liste, « aimerait que ce soit une autre personnalité » qui l'emmène, comme pourquoi pas Florian Philippot, président des « Patriotes », ou encore le philosophe Michel Onfray. » Problème de taille : ce n’est pas ce que Nicolas Dupont-Aignan a proposé.
Ce qu’il s’est (vraiment) dit sur le plateau
Dans le journalisme comme ailleurs, il est important de partir des faits bruts. L’interprétation, c’est ensuite, plus tard. D’abord, les faits. Et même s’ils peuvent parfois être eux-mêmes sujets à caution, il faut toujours en passer par là. Voici donc :
« Il faut, j’en suis convaincu, un projet européen, une liste aux européennes, souverainiste, qui rétablisse l’indépendance de la France.
- C’est votre projet à vous ? C’est sur votre projet qu’il y aurait des gens qui vont venir… ?
- En tout cas, je pense qu’il n’y a pas, aujourd’hui, sur l’échiquier politique, un projet cohérent de libération de la France.
- Vous ne répondez pas. Qui allez-vous rassembler sur ce projet souverainiste, gaulliste ?
- Ce projet – nous allons le publier le 30 septembre, nous y travaillons –, qui est une rupture avec…
(Sonia Mabrouk et Mathieu Bock-Côté coupent la parole)
- Avec qui ? Florian Philippot, c’est un allié ?
- Florian Philippot, bien sûr qu’il pourrait participer. Mais pas seulement lui. D’autres…
- Qui d’autre ?
- On verra ! D’abord, il faut que je publie le projet !
- On parlait de Michel Onfray pendant un temps. Ça vous intéresserait ?
- Il y a Michel Onfray, il y a d’autres personnes… Bien sûr.
[…]
- Attendez. Vous vous présentez comme le « démineur », aujourd’hui, « en chef », mais ce n’est pas vous qui allez mener cette liste aux européennes ? La porte est ouverte ?
- On verra. Je ne souhaite pas obligatoirement la mener. Si une personnalité, une autre personnalité, peut la mener…
- Par exemple, comme Michel Onfray ? Vous avez discuté avec lui pour savoir s’il était d’accord ?
- On verra ! Vous voyez, vous vous intéressez, et c’est normal, je ne vous en veux pas, vous faites votre boulot et moi le mien… Vous vous intéressez… Qui ? Comment ? Par qui ? Pour moi, ce n’est pas ça qui m’intéresse, Je dis que pour rassembler (Bock-Côté tente une percée pour l’interrompre ; sans succès) il faut déjà savoir sur quoi on rassemble. »
Quiconque a écouté le passage attentivement l’aura remarqué : à aucun moment Nicolas Dupont-Aignan n’insiste sur l’identité de la personne qu’il verrait mener sa liste aux européennes. Si les deux journalistes tentent à plusieurs reprises de l’amener sur ce terrain, le député ne se laisse pas faire, et concède, comme pour calmer ses interlocuteurs, quelques noms. Rien de plus ; pas de grand accord avec Michel Onfray, Florian Philippot ou quelque autre figure pour une grande liste souverainiste labelisée « Debout la France », comme pouvait le laisser entendre la titraille – certes écrite au conditionnel – déployée par l’AFP et reprise par la presse nationale.
En d’autres termes, nous sommes ici face à un cas d’école : des organes de presse recrachent l’information sans la traiter – et donc, sans véritablement la vérifier. La conséquence est simple, et on l’observe ici : l’information est déformée, et à l’heure où sa consommation se fait dans une large part à coups de titres sensationnalistes qui polluent par d’incessantes notifications les écrans, le mal est très vite fait. En tout état de cause, Michel Onfray n’a pas convenu d’une liste commune avec Nicolas Dupont-Aignan ou Debout La France. Ce dernier, contacté par le philosophe dans la foulée des évènements, a d’ailleurs confirmé qu’il n’avait pas cherché à l’embarquer sans l’en informer dans une aventure politique. Les journalistes, c’est autre chose…
À qui la faute ?
Il est du rôle d’un journaliste d’essayer d’obtenir des informations de la bouche de leur interlocuteur. Les règles du jeu sont tacites, mais connues de chacun. Le journaliste vient avec ses questions et l’intervenant avec ses réponses, et souvent, s’il est un politique professionnel, avec sa langue de bois. Les politiques suivent aujourd’hui des séances de « média training » pour apprendre à se confronter à cet exercice devenu fondamental dans un monde où la communication prime.
Il n’y a donc rien de surprenant à ce que, sur la thématique du souverainisme, les deux journalistes proposent à Nicolas Dupont-Aignan quelques noms en espérant obtenir un scoop. Cela étant, Michel Onfray ne cesse de répéter depuis maintenant des années qu’il n’entend en rien briguer un mandat politique, tout simplement parce qu’il n’entend pas tromper le peuple français – sur la grande route de la politique politicienne, le chemin du compris mène nécessairement à celui de la compromission. Dès lors, un journaliste professionnel aurait dû s’abstenir…ou à tout le moins contextualiser.
Plus problématique que l’absence de contextualisation et la recherche de l’info-choc en plateau, la traduction journalistique de l’échange qui laisse entendre ce qui n’a pourtant pas été dit. Il est attendu du journaliste, quand il rapporte des propos, qu’il respecte le sens et l’esprit dans lesquels ils ont été tenus. Autrement, il rompt avec la déontologie journalistique qui, si elle n’a rien de juridiquement contraignant – la fameuse Charte de Munich qui l’encadre en Europe jouant essentiellement un rôle de proclamation –, reste un impératif professionnel qu’il est convenu de respecter ; maltraiter l’information, au nom de l’immédiateté ou d’autre chose, c’est briser ce code, et donc la confiance du citoyen récepteur de l’information.
L’année dernière, le baromètre annuel du journal La Croix révélait que la confiance envers les médias continue de s’effondrer en France. Seulement 44 % des personnes interrogées estiment que les médias fournissent des informations fiables et vérifiées et 62 % des sondés estiment que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Passons pour ce qui est de la concentration du pouvoir. Pour ce qui est des informations fiables et vérifiées, ce n’est pas avec ce genre de passe-passe journalistique au conditionnel que les chiffres sortiront du rouge.
L’exemple Houellebecq
A vrai dire, on pourrait multiplier les exemples. On se souvient comment une parole de Michel Onfray sur la possibilité de soutenir Eric Zemmour S’IL se greffait « un bras gauche » avait fini, par un jeu de téléphone arabe médiatique par devenir : Michel Onfray n’exclut pas de voter Eric Zemmour, puis Michel Onfray votera Eric Zemmour. Peu importe les démentis, les corrections (lorsqu’elles sont faites), les rétropédalages, le mal est souvent fait pour ce qui est de l’opinion publique.
Plus récemment encore, Quand Michel Houellebecq, en tournée médiatique pour la sortie de son dernier livre Quelques jours dans ma vie, raconte à qui veut encore l’entendre que Front Populaire l’aurait abusé, la presse écoute, consigne, relit et publie. Il ne viendrait à l’idée d’aucun journaliste de se demander si ce que dit Michel Houellebecq est exact. L’autre partie (à savoir nous !), pourtant publiquement mise en cause, n’est pas consultée, et le contradictoire savamment balayé sous le tapis. Le lecteur, au bout de la chaîne, n’aura pas le droit à une mise en perspective des points de vue. Il aura une version subjective, donc biaisée, donc inexacte, des faits. Dans ce cas comme dans celui de la liste de Nicolas Dupont-Aignan, c’est la vérité que l’on sacrifie. Mais qui en a encore le souci ?