Sauver la haute fonction publique et l’État de la tentation oligarchique : grands corps et ENA (partie 2)
OPINION. Plus grand monde désormais ne nie la rupture entre le peuple et les élites. Une situation qu’il convient d’analyser et de résoudre, selon notre contributeur, qui décortique la manière dont se fabrique et s’entretient le moule idéologique et social des serviteurs de l’État.
Le Conseil d’État, dans cette ère de collusion générale de la haute fonction publique, a vu ses failles historiques s’élargir en gouffres béants.
Conseil d’État et Conseil constitutionnel : des institutions suprêmes en pleine dérive
Le Conseil d’État exerce deux fonctions : l’une consultative — conseiller et assister de manière active le gouvernement dans la rédaction des lois — et l’autre juridictionnelle — juger en dernier ressort les actions dirigées contre l’État, sur la base des lois et du corpus réglementaire. De ce fait, un conflit d’intérêt ressort : le Conseil d’État conseille l’État sur la rédaction de ses lois, tout en sachant qu’il aura la responsabilité de les interpréter lorsqu’il jugera à leur lumière les actions dirigées contre l’État. Plus caricatural encore, le Conseil d’État peut avoir à juger la conformité à la loi d’un décret sur lequel il a exercé préalablement sa fonction consultative ! Sur ce point, le Conseil se justifie parfois en invoquant le cloisonnement interne entre les deux fonctions… alors que leurs membres font partie d’un seul et unique corps, déjeunent ensemble et passent allègrement d’une fonction à l’autre au cours de leur parcours.
Un autre point délicat ressort : nombreux sont les conseillers d’État à essaimer à de hautes fonctions de l’administration, durant un, deux ou trois postes, et parfois à revenir après au sein du Conseil. Cet essaimage diminue leur indépendance : le conseiller aura-t-il toujours envie d’être inexorable vis-à-vis de l’État, s’il espère y obtenir dans l’année un poste de prestige ? Saura-t-il s’attaquer avec la même rigueur, si la justice l’exige, aux intérêts d’un service administratif dirigé par un conseiller d’État passé dans le gouvernement ? Sans compter sur le fait que de façon plus large, depuis la création de l’ENA en 1945, nombreux sont les directeurs d’administration qui, sans être conseillers d’État, sont néanmoins des camarades énarques, passés...