Alain Bauer : « Il faut que la France se permette une vraie conférence de politique pénale »
ENTRETIEN. La justice est dans un sale état, et le fossé se creuse avec une population française en forte demande de sécurité. L'état des lieux fait, vient alors le temps des interrogations. D'où vient le mal ? Réponses avec le professeur de criminologie Alain Bauer.
Front Populaire : D’après un rapport de l’Institut pour la Justice publié le 2 février, seulement 59% des condamnés à une peine de prison ferme mettraient réellement les pieds en prison. L’émergence de mesures alternatives (semi-liberté, placement extérieur ou usage du bracelet électronique) peut-elle expliquer à elle seule ce résultat ?
Alain Bauer : En fait, la source du problème se situe dans la logique « Prison pour tout et pour tous » du Code pénal français, ainsi que dans l’immense difficulté à trouver une solution adaptée aux problématiques criminelles, tant le dispositif hésite entre rien et trop.
Incapable d’assumer, et heureusement, une telle sévérité proclamée, n’arrivant plus à faire la différence entre l’essentiel – les violences physiques – et l’accessoire – les atteintes aux biens –, il a été inventé depuis une cinquantaine d’années toute une série de mesures de décriminalisation, de dépénalisation, de classement sans suites, d’alternatives aux poursuites, d’alternatives aux peines, enfin de gestion de l’application des peines (milieu ouvert, PSE, etc.).
Ces choix furent essentiellement ceux du gouvernement et des assemblées qui décidèrent, face aux contentieux de masse, de les traiter par des mesures techniques (permis de conduire à points ou interdictions bancaires, par exemple). Ou, pour les violences notamment, de ne tout simplement plus savoir comment les traiter.
L'autre vraie question porte surtout sur les conditions dans lesquelles l’aménagement des peines peut être réalisé, notamment suivant la limite des deux ans de prison ferme (jusqu’en 2020) et des un an (depuis 2020). Or le nombre des juges d'application des peines (JAP) est ridiculement faible, ils sont submergés de dossiers, contraints par des obligations légales françaises, européennes et internationales complexes, sans véritable collégialité des informations sur les dossiers les plus inquiétants, les violences physiques et sexuelles notamment.
C’est donc une logique d’ensemble qui explique cette situation, plus que des mesures...