Le nationalisme de Zemmour (5/8)
L’IMPOSSIBLE PRÉSIDENCE. Qu’on l’adule ou qu’on le haïsse, Eric Zemmour est l’ovni de cette campagne présidentielle. Observateur attentif du populisme, le philosophe Vincent Coussedière interroge son parcours et nous propose une analyse profonde du rôle historique de Zemmour. Chapitre cinq.
En réalité, l’idéologie pointait déjà son nez depuis longtemps dans les interventions de notre Socrate populiste ; elle n’est pas apparue avec sa candidature à la présidentielle mais a été encouragée par celle-ci. Ainsi que Nietzsche le faisait remarquer à propos du dialogue socratique, le « dialogue zemmourien » devenait parfois un monologue déguisé. Il ne semble pas cependant que l’idéologie précède chez Zemmour et que le rôle socratique qu’il a su jouer n’aurait été qu’un leurre cachant l’idéologue. Il semble au contraire que Zemmour ait dû se forger, chemin faisant, une idéologie, en grande partie en réaction à celle qu’il combattait, en l’occurrence l’idéologie des droits de l’homme et du multiculturalisme.
Ce caractère réactif de la pensée de Zemmour est essentiel et est d’ailleurs régulièrement assumé par lui. Rien ne prédisposait le jeune Zemmour à bricoler une variante idéologique de l’identité nationale. Il avait voté à gauche pour Mitterrand en 1981 et était plutôt proche de Chevènement et de Séguin, c’est-à-dire d’une idéologie républicaine issue de la gauche. C’est en partie inspiré par ce camp qu’il avait milité contre le traité pour la Constitution européenne de 2005. Sa trajectoire idéologique est liée à une déception, le nationalisme républicain incarné par Chevènement se révélant impuissant à endiguer les coups de boutoir portés contre la Nation par une mondialisation incontrôlée dont l’immigration est l’une des conséquences.
Si l’on regarde rétrospectivement les différents débats entre Zemmour et Chevénement, on observe que la déférence respectueuse d’un ancien disciple cède de plus en plus la place à une forme d’agacement et d’ironie mordante. Le fossé qui se creuse entre les deux hommes est symbolique de celui qui s’est creusé, dans la France de la fin des années 80, entre deux formes de nationalisme : le nationalisme civique ou républicain et le nationalisme identitaire. Alors que Chevènement entendait...