Jean-Claude Michéa est un philosophe qui ne participe pas à la ronde des philosophes médiatiques, ceux qui ont un avis sur tout et l’expriment, pourvu qu’ils se contentent de marcher là où on leur dit de marcher. Il est de ceux qui ont introduit en France Christopher Lasch (La culture du narcissisme), remis Orwell à l’ordre du jour (« anarchiste tory ») et il procède à la critique la plus radicale du libéralisme, né dans l’Impasse Adam Smith.

Son dernier ouvrage, Conversations américaines. Entretiens avec Michael C. Behrent (Albin Michel, 2025), est dédié « À Linda, comme toujours, et aussi parce qu’elle ne manque jamais de me rappeler — au cas où je l’oublierais — que les vertus de la bêche sont autrement plus humanisantes que celles de l’ordinateur. » Cette dédicace résume une bonne partie de la philosophie de cet homme qui refuse de s’agenouiller devant le dieu Progrès, cette nouvelle figure du Moloch dont Marx avait fait l’allégorie du capital. Ce nouveau livre est placé sous le signe de Stefan Zweig qui dénonçait l’uniformisation et la disparition de la vie d’un monde soumis à la toute-puissance de la machine.

Le livre est composé de deux entretiens avec Michael C. Bahrent. Le premier, daté du début 2025, a gardé ici son titre original, Toward a Conservative Left (« vers une gauche conservatrice »), a un titre choisi par l’éditeur et dans lequel l’auteur avoue ne pas trop se reconnaître. Le second date de 2019 et il reprend un entretien pour la revue Dissent, une revue de la gauche américaine lancée en 1954, qui a publié aussi bien Hannah Arendt que Norman Mailer et qui est co-dirigée actuellement par Michael Walzer. Ces deux contributions constituent une synthèse, assortie de précisions sur les thèses que Michéa développe maintenant depuis de nombreuses...