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Les femmes travaillent-elles "gratuitement" à partir de ce vendredi 4 novembre 2022 ?

ARTICLE. Comme chaque année, l’association Les Glorieuses affirme que les femmes travaillent gratuitement à partir d’une certaine date. Evidemment, les chiffres sont faux. Une manipulation reprise massivement et qui finit par masquer les véritables problématiques  d'inégalités salariales entre hommes et femmes. 

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Dans le jargon journalistique, on appelle ça un marronnier. Un sujet qui revient chaque année et dont la récurrence a tendance à lasser. Le cas qui nous occupe aujourd’hui appartient à cette catégorie. Non, les femmes ne travaillent pas "gratuitement" à partir de ce vendredi 4 novembre 2022 à 9 h 10, comme le prétend l’association féministe Les Glorieuses, dépositaire de cette polémique annuelle. Non, les femmes ne travaillent pas pour un salaire 15,8 % plus faible que celui des hommes. C’est bien plus compliqué.

Pourtant, pour qui va consulter la presse sur internet, c’est loin d’être évident. « À partir de 9 h 10, ce vendredi, les femmes bossent gratis », titre Libération. LCI intitule son article plus sobrement : « Inégalités salariales : depuis 9 h 10 ce vendredi 4 novembre, les femmes travaillent gratuitement ». Tout comme Le Point, pour qui : « À compter de ce vendredi, les femmes « travaillent gratuitement » ». Le lecteur se retrouve confronté à une dizaine de titres globalement similaires et pour cause, les articles partagent tous la même source, celle de l’AFP. Et ne s’encombrent pas pour la plupart d’analyses complémentaires, pourtant bien nécessaires.

Le monde politique s’engouffre dans les failles béantes de ces analyses incomplètes sinon biaisées. « Depuis ce matin, les femmes travaillent gratuitement. Finissons-en ! », clame Clémence Guetté (LFI). Fabien Roussel, PCF, n’est pas en reste : « Les femmes travaillent gratuitement du fait des inégalités salariales et professionnelles, en dépit de 14 lois en 40 ans ! » s’indigne-t-il, quand Yannick Jadot (EELV) évoque les 15,8 % d’écart comme un « scandale alors que des solutions, comme en Islande, existent pour imposer l’égalité salariale ».

D’autres se prennent les pieds dans le tapis de leur méconnaissance du sujet. C’est le cas d’Olivier Faure. Le Premier secrétaire du PS s’exclame, « il est 9 h 10. À partir de maintenant, les Françaises travaillent gratuitement jusqu’à la fin de l’année. Cette injustice est insupportable. Une seule règle doit primer : à travail égal, salaire égal ! ». Mais justement, si le 15,8 % brandi est inexact, c’est bien pour une chose : il ne traite pas des mêmes postes, du même travail. Il mélange les avocats avec les manutentionnaires, les dirigeants de plus de 50 ans avec les jeunes ouvriers dont c’est le premier contrat de travail, le secteur privé avec le secteur public. Bref il est tout sauf pertinent. Pour qu’il le soit, il faut faire des comparaisons au sein des métiers. Et si l’on voulait être encore plus complet, il faudrait croiser ces données avec l’âge et l’expérience.

Une reprise un peu indécente

Dans une étude datant du 3 mars 2022, l’Insee reprend le chiffre d’un écart « à poste égal » dans le privé « de 5,3 % » relevé dans une autre de ses productions en 2017. Le centre d’étude statistique considère que « le moindre accès des femmes aux positions salariales les plus rémunérées » explique « une partie des écarts ». Dans le secteur privé, les femmes représentent « 42 % des salariés en 2019 », mais leur part diminue « quand les salaires s’élèvent (19 % de femmes dans le top 1 %) ». Enfin et surtout, l’Insee pointe du doigt la maternité. « L’arrivée des enfants a un impact fort sur les écarts de salaire », expliquent les auteurs de l’analyse, avant de conclure, « cinq ans après l’arrivée d’un enfant, les mères salariées du privé ont des revenus salariaux inférieurs d’environ 25 % par rapport à ce qui se serait produit sans cette arrivée ».

Maternité et plafond de verre professionnel sont les deux principales mamelles de cet écart salarial. Ce problème existe et il faut s’employer à le résoudre. Marlène Schiappa (Renaissance) a livré par ailleurs une liste assez exhaustive des pistes légitimes à être étudiées. « Moins promues, moins augmentées, plus souvent à temps partiel, cibles de harcèlement sexuel, du « plafond de mère », de présomption d’incompétence, Index égalité, congé paternité allongé, quotas : exigeons l’égalité salariale ! ». Dommage qu’elle reprenne également à son compte le slogan « les femmes travaillent «gratuitement» depuis #9h10 ! ».

Car ayons un peu de décence et comparons ce qui est comparable. Marlène Schiappa est Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire et de la Vie associative. À ce titre elle touche — comme ses homologues masculins — une rémunération de 9 966 € brut mensuels. Soit pratiquement 120 000 euros annuels brut. Comparons avec le salaire d’une infirmière publique débutante qui toucherait 1917 euros brut mensuels soit 23 000 euros bruts annuels. Cela voudrait-il donc dire que passé mars, l’infirmière en question travaillerait « gratuitement » ? Bien évidemment non. C’est pourtant le même raisonnement que celui appliqué par les Glorieuses.

Livrer une analyse sérieuse des écarts salariaux plutôt que de marteler un slogan éculé, faire évoluer plutôt que communiquer, voilà quel pourrait être l’enjeu de ce jour de novembre. Mais il faudra chaque année le rappeler. Avec le risque d’en faire également un marronnier.

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