Le substrat du temps
CHRONIQUE. Tout au long de l'été, notre camarade Jean-Paul Pelras nous incite, avec ces chroniques champêtres, à nous replonger dans ce flot de souvenirs qui font notre identité collective. Aujourd'hui, quelques réflexions sur ces exilés volontaires qui vivent hors du temps...
J’ai croisé celui qui vit seul là-bas, loin des considérations folkloriques. Il ne s’est jamais marié parce qu’aucune femme n’a voulu de cette vie, ni dans les fêtes du canton, ni dans les petites annonces du Chasseur Français.
Le triomphe de l’austérité et de ses conditions en quelque sorte. L’hiver, le ciel touche la terre. L’été, il dévore tout ce qui pousse dans un incessant crépitement d’insectes. Le monde est là qui occupe sa place, qui lutte contre le vent, le gel, les congères et la solitude dans la vacuité domestique d’une pièce badigeonnée de suie. Là, près de la cheminée où le contenu de quelques boites en fer blanc se caramélise entre le calendrier des postes et la lune qui tremble dans l’eau de l’évier.
Là, où derrière les carreaux gelés, c’est la mer sur terre à perte de vue avec, pour distraire l’horizon, les circonvolutions de quelques oiseaux de proies et le soleil qui les guide entre deux saisons. Il vit donc là-haut, dans le substrat du temps entre l’étable et le plateau où, de son passage, sous une croix penchée, ne restera qu’un mystérieux renflement.
Celui-là ne se soucie ni du futur, ni des modes du moment, quand le présent suffit à justifier la nécessité, quand seul le renard sait si la neige va arriver, quand la peau des oignons dit s’il faut s’en méfier. Loin des comédies de l’abstrait et des prétendues contrariétés qui donnent l’illusion d’exister.