Pourquoi aime-t-on la musique d’Erik Satie
CONTRIBUTION / OPINION. À contre-courant des règles de l’harmonie tonale, Erik Satie a façonné une musique singulière où les accords sont choisis pour leur couleur plutôt que pour leur fonction. Brève analyse harmonique d’un style audacieux, énigmatique et profondément moderne.
:max_bytes(300000)/frontpop/2025/02/erik-satie.jpeg)
Si vous aimez la musique d’Erik Satie parce qu’elle est immédiatement identifiable, parce qu’elle n’est pas trop difficile à jouer pour un pianiste amateur, parce que vous trouvez qu’elle est inouïe au sens propre du terme, c’est-à-dire comparable à nulle autre avant ou après elle dans l’évolution du langage musical, si vous ressentez le piétinement du chant, les phrases obstinées et exotiques, les ponctuations déroutantes, et qu’au contact de leur mélancolie et de leur étrangeté, vous ressentez l’envie de déambuler dans la brume en relevant le col de votre veste étriquée… laissez-moi tenter de vous expliquer pourquoi !
Comme toute création émane et fleurit de ce qui a précédé, commençons par quelques propos sur la notion de musique tonale. Lorsque vous entendez que telle symphonie, telle valse ou telle sonate est en mi bémol majeur ou ré mineur, cela fait référence à la gamme (ou tonalité) dans laquelle elle est écrite. Disons qu’une gamme (do majeur, par exemple) est une échelle sonore, un contexte dans lequel votre oreille – ou plutôt votre cerveau – se installe lorsqu’elle entend les premières mesures d’une œuvre. Cette gamme (do-ré-mi-fa-sol-la-si-do) possède une tonique (en gras) qui est le point de départ et le point de tension vers lequel votre oreille souhaitera revenir afin que tout le reste lui apparaisse a posteriori comme un discours cohérent et hiérarchisé. C’est ce qu’on appelle la musique tonale, organisée autour d’un pôle attractif, la tonique, note de base qui donne son nom à la gamme.
Dans l’Histoire on peut dire que la musique tonale est née à la Renaissance (XVIe siècle) et qu’elle a été analysée comme telle au début du XIXe siècle. Dans l’harmonie tonale traditionnelle, précisons qu’une œuvre en do majeur pour reprendre l’exemple ne contiendra pas uniquement les sons de cette gamme — ce serait d’un...