Souriez, vous êtes réac ! Une esquisse de Jean-Sébastien Bach
CONTRIBUTION / OPINION. On attend souvent des artistes qu’ils naviguent dans le vent de leur époque. Mais Jean-Sebastian Bach est la preuve que l’on peut être considéré comme un ringard de son vivant, puis comme un génie visionnaire à titre posthume.
Vous connaissez certainement le célèbre portrait de Jean-Sebastian Bach peint par Haussmann en 1748 où le cantor (deux ans avant sa mort) tient dans sa main un petit canon énigmatique qui est en fait une fugue à six voix qui se déroule en boucle, sorte de canon perpétuel comme la dernière pièce de l’Art de la fugue.
Avec sa perruque — qu’il pouvait lancer à la figure d’un organiste maladroit au cours d’une répétition —, avec son air sévère de luthérien pénétré de théologie — il signait toutes ses compositions avec les lettres SDG (Soli Deo Gloria, à la gloire de Dieu seul)—, avec ses sourcils froncés qui trahissent un caractère volontaire, puissance pacifique ou ombrageuse (ou peut-être tout simplement des ennuis liés à sa cataracte…), figurez-vous que ce génie incommensurable a fréquemment été considéré de son vivant comme un ringard, un « has been », un triste plouc jamais sorti de son Allemagne natale ; l’obscur Jean-Sébastien Bach fut alors choisi par défaut pour enseigner à la Thomasschule parce que l’illustre Graupner n’était malheureusement pas disponible ! Le besogneux cantor de Leipzig fut snobé par Haendel l’européen qui, voyageant en Allemagne, n’a pas pris la peine d’aller lui rendre une visite de courtoisie, alors même que Bach l’espérait ardemment, lui qui s’est formé « en étudiant les œuvres des compositeurs célèbres et compétents et en réfléchissant tout seul à leur propos » CPE Bach. Vous avez en un mot le profil d’un vieux réac.
D’une certaine façon, la pique a du vrai, car les formes musicales empruntées par JS Bach (invention, prélude, fugue, partita, cantate, messe, passion…) existaient depuis bien longtemps alors qu’en ce début de XVIIIe siècle on assistait à l’élaboration de genres plus « modernes » comme la sonate ou l’opéra.
Or, loin d’être un carcan pour le Maître, ces formes « vieillottes » et perçues...