transhumanisme

Taguieff et les racines progressistes de l’eugénisme

CRITIQUE. Pierre-André Taguieff est philosophe et historien des idées. Il vient de faire paraître L’eugénisme (2020) dans la collection Que sais-je ?, aux PUF. Vous pouvez le retrouver également au sommaire du numéro deux de notre revue, avec pour thème ce trimestre : l’Etat profond.

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Dans l’imaginaire collectif, l’eugénisme est une notion floue à la réputation sulfureuse. On la rattache un peu instinctivement à un univers à la fois totalitaire et utopique, teinté de manipulations biologiques plus ou moins inquiétantes. Après tout, l’eugénisme n’a-t-il pas partie liée avec le nazisme et l’histoire trouble d’un vingtième siècle en proie aux pires dérives ? Si, bien entendu, et Pierre-André Taguieff y consacre de savants développements, notamment en retraçant le parcours et l’idéologie des partisans allemands de « l’hygiène raciale » comme Fritz Lenz, Eugen Fischer ou encore Alfred Ploetz. A partir des années 1930, la politique de l’Etat national-socialiste allemand se conçoit effectivement comme une « biologie raciale ». Et Eugen Fischer de déclarer en 1934 : « Pour la première fois dans l’histoire mondiale, le Führer Adolf Hitler met en pratique les découvertes concernant les fondements biologiques des peuples : la race, l’hérédité, la sélection. » Un vaste projet de « rénovation nationale » qui implique la ségrégation, la stérilisation et jusqu’à l’extermination. Taguieff rappelle le mot du biologiste britannique Peter B. Medawar : « Il flotte sur l’eugénisme un intolérable relent de chambre à gaz. »

Si le nazisme a laissé une telle empreinte sur l’histoire de l’eugénisme, c’est par cet aspect de rouleau-compresseur proactif. Comme le note Taguieff, « le souci eugéniste est expressément opposé par Hitler au principe du « laissez-faire » propre à l’Etat libéral, Etat minimum, « veilleur de nuit ». Le contrôle sélectif de la procréation doit être pris en charge par « l’Etat raciste » : l’eugénique est l’affaire d’un Etat interventionniste et dirigiste. » Mais si le nazisme assume historiquement, dans le cheminement de l’idée eugéniste, une certaine fonction d’achèvement dans l’horreur (cf chapitre VII, Racisme et eugénisme, la synthèse hitlérienne), il n’en est nullement le commencement et encore moins le terme. L’idée vient de loin, et elle n’a pas toujours fait l’objet d’une « phobie idéologique ».

Le mot lui-même vient d’un...

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