Les animaux cybernétiques
CONTRIBUTION / OPINION. Jusqu’à aujourd’hui, l’homme a toujours su tirer profit de la technique dans une logique prométhéenne. Mais avec l'avènement du transhumanisme, notre lecteur craint qu’il devienne l’esclave de son œuvre.
Alors que les technosciences progressent à une vitesse vertigineuse, la Silicon Valley, entreprise de destruction massive de la spiritualité, pourvoyeuse d’exosquelettes aliénant pour nous-mêmes, les animaux cybernétiques que nous sommes dépérissent à vue d’œil. Descartes voyait les bêtes comme des mécanismes de roues dentées, sans sensibilité, sans souffrance. Ce que Voltaire, au passage, s’est empressé, non sans ironie grinçante, de brocarder, arguant le système nerveux des vertébrés. Il est louable de penser que Descartes poussait le bouchon un peu loin avec sa vision austère et cynique du vivant, sachant qu’étymologiquement, « animal » signifie « avoir une âme ». Reste que si les techniques devaient affranchir l’homme de la nature, comme l’entendait Aristote, lui permettre de sortir du sentiment servile d’une bête mue par ses seuls instincts, ses seules inclinations rustiques et du climat de violence omniprésent, de la rudesse du climat, en dépit d’un confort, de boudoirs si confortables jamais égalés, l’homme est devenu, l’esclave de son œuvre cybernétique.
Alors que l’homme savait tirer profit, dans une logique prométhéenne, d’outils et artefacts, pour se rendre perfectible, il vise maintenant l’homme augmenté, paradoxalement diminué, nivelé vers le bas, rabougri jusqu’aux pâquerettes de l’inculture, flirtant presque avec le cri prélinguistique évoqué par Rousseau, puisqu’au grand dam des milieux populaires, certains parents équipent leur bébé d’un smartphone le plus tôt possible pour avoir la paix ; l’on sait alors les troubles autistiques et le caractère irréversible face au déluge iconographique, alors même que le langage n’est toujours pas fixé. Sans doute ne sommes-nous pas si loin du petit d’homme perdu dans la jungle, miraculé, retrouvé sain et sauf, mais dont les capacités cognitives étaient endommagées à vie. Dans les faits, Mowgli ne peut parler, car il a été et sera toujours privé de logos.
Il se joue donc une ambivalence étrange où l’animal rejoint la machine,...