Le renouveau du protectionnisme
ENTRETIEN. Directeur d’études à l’EHESS, Jacques Sapir est un économiste renommé. Il publie dans la collection Que-sais-je ? un ouvrage synthétique et très étayé sur Le Protectionnisme (éd. PUF). Nous l’avons interrogé sur cette notion souvent mal comprise.
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Front populaire : Pouvez-vous définir le « protectionnisme » ?
Jacques Sapir : La définition la plus simple serait : système de protection des producteurs nationaux par le biais de mesures tarifaires ou non tarifaires. De fait, le protectionnisme est moins une doctrine - encore qu’il s’appuie sur une pensée économique extrêmement précise et structurée qui fait appel aux notions de processus, de développement historique, de connaissance collective -, qu’une pratique. C’est essentiellement un instrument. Le protectionnisme n’a de sens que pour construire, ou reconstruire, l’appareil industriel d’un pays. Ce qui le justifie est que la situation dans le futur, et ce futur peut naturellement être dans plusieurs années, sera meilleure à la situation qui apparaîtrait dans une configuration de libre-échange.
FP : Vous montrez qu’avant le 18èmesiècle, le protectionnisme était une évidence. Pourquoi le libre-échange a-t-il émergé ?
JS : Avant le 18ème siècle, le protectionnisme était la norme, essentiellement pour des raisons fiscales. Les États de l’époque, les monarchies, avaient constamment besoin de trouver des ressources financières. C’est pourquoi, à cette époque, ils ont taxé les flux de marchandises. Mais ce protectionnisme avait une efficacité limitée. Dans des économies qui sont largement dominées par l’agriculture (et la rente foncière), le protectionnisme, outre les revenus qu’il engendre pour l’État, n’a que peu d’impact sur la structure de la production, quoi qu’il ait permis en Grande-Bretagne une expansion de l’agriculture. Cependant, cette dernière est limitée par la qualité des sols. Plus on met en culture des sols pauvres et plus le prix moyen du blé (ou des céréales) augmente et plus la rente dont bénéficient les producteurs utilisant les meilleures terres augmente. L’industrie est encore trop peu développée pour bénéficier du freinage des importations de produits manufacturés. Le système devient de plus en plus un mécanisme de répartition de la richesse en interne.
Cependant, la...