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Protectionnisme : Entretien croisé entre Jacques Sapir et Yves Perez

Entretien croisé entre Yves Perez, ancien Doyen de la faculté de droit, économie et gestion de l’Université catholique de l’Ouest (Angers), professeur émérite et enseignant aux Ecoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidant et Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS-Paris, professeur associé à la Moscow School of Economics, membre à titre étranger de l’Académie des Sciences de Russie

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FP : Pourquoi le protectionnisme a-t-il si mauvaise presse ?

Yves Perez : Depuis 1974, date de l’arrivée au pouvoir du président Valéry Giscard d’Estaing, le libre-échangisme est devenu l’idéologie officielle du pays. Les élites économiques, politiques et universitaires s’y sont ralliées. Elles ont appris à considérer le protectionnisme comme un anachronisme, le symbole d’un passé obscurantiste et désormais révolu.

Jacques Sapir : Très clairement, pour de nombreux journalistes, il y a une confusion entre le protectionnisme et l’autarcie. Et l’autarcie est associée à la guerre. Le protectionnisme est présenté comme une source de conflits internationaux, alors que nous avons vécu, de 1945 aux années 1980 dans un monde protectionniste, en particulier durant les « trente glorieuses », et que de nombreux pays, de la Corée du Sud à l’Inde sont ouvertement protectionnistes et pas belliqueux pour autant. Dès que l’on se réfère au protectionnisme vous êtes assimilés aux « heures sombres » ; bref le « point Godwin » n’est jamais loin.

FP : Est-ce uniquement lié au fait qu’en Europe le libre-échange tient désormais de l’idéologie ?

Yves Perez : Le propre de l’idéologie est d’instaurer une coupure entre le passé ou régnait l’obscurantisme et l’ignorance et un présent ou prévalent la science et la raison. Enfin,  l’idéologie considère les choses comme étant irréversibles. Elle s’attache aussi à réécrire l’histoire. Le protectionnisme est ainsi devenu le synonyme de l’autarcie, de la régression économique, sinon de la guerre tout court

Jacques Sapir : Le libre-échange a supplanté à gauche l’idée de progrès social. J’ai entendu dans des réunions au Parti Socialiste en 2008 et 2009, quand j’étais encore invité, des éléphants et des éléphanteaux déclarer que le libre-échange était la forme moderne de l’internationalisme. La régression est là. De 1983 à 2008, en 25 ans, le PS et une partie de ses allés ont abandonné, un à un, tous...

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