Coronavirus : le nouvel « Ange exterminateur »
OPINION. La sortie progressive du confinement depuis le 19 mai 2021 amorce un lent retour à la normale. Pourtant, le climat de peur associé à la pandémie peut avoir un impact durable sur les consciences politiques.
Mexico, 1962. Dans le contexte du franquisme, Buñuel représente dans le film L’Ange exterminateur la manière dont la dictature restreint les libertés en brouillant les frontières entre contraintes et anesthésie des consciences. À l’ère du Covid-19, l’œuvre peut plus largement être perçue comme une fable sur l’ingénierie sociale. Lors d’une réception, des convives de la haute société mexicaine se retrouvent dans l’impossibilité de sortir du salon de leurs hôtes pendant quatre jours, alors qu’aucun obstacle visible ne les en empêche. Par sa dimension fantastique, le film amène le spectateur à se questionner sur les causes de cet emprisonnement. La pièce est-elle enchantée, dotée de parois invisibles ? S’agit-il au contraire d’une prison imaginaire, provoquée par l’annihilation de la volonté des personnages ?
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »
La situation de pandémie accroît très fortement la perception du risque chez les individus, au point que la notion de norme dans les relations sociales est fragilisée, voire remise en cause. Est-ce dangereux de rencontrer plusieurs individus à la fois ? Si oui, à partir de combien ? Les doutes assaillant les consciences individuelles sont nourris par l’instabilité des choix politiques pour endiguer la pandémie. Leur nature, leur degré, et la localisation évoluent en fonction des pics de contaminations. Ce climat d’instabilité permanente affaiblit la capacité de jugement.
Dans L’Ange exterminateur, Buñuel dépeint des personnages qui basculent dans la folie, car le caractère extraordinaire de la situation dérègle leur rapport au réel. Tandis que les personnages se croient dans un lieu clos, ils voient entrer un troupeau d’agneaux dans la pièce où ils sont emprisonnés. Cet événement les fait douter de l’existence d’un mur, aussi invisible qu’il puisse être. Plus le film avance, et plus les repères sont bouleversés. La notion du temps d’abord, puis les normes de comportement social. Les convives s’attardent chez...