Echec de la décentralisation française : les élus et les règles
OPINION. La décentralisation française se retourne contre nous : elle n'est plus la liberté des citoyens dans leur collectivité, mais la liberté des élus. La supériorité d'un pouvoir politique tenu par les élus est de tradition pour tous les régimes politiques français, ceux-ci considérant notre administration comme un instrument à leur service.
Les élus locaux sont les enfants gâtés de la République. L'Etat les traite comme ses enfants car il les met sous sa tutelle, les place sous l'autorité de ses lois toujours plus précises, plus directives et plus nombreuses. Mais ces enfants sont gâtés car, le plus beau, est qu'une bonne part de ces lois, de leur nombre, de leur complexité, ne procède presque pas de la volonté des ministres et de leurs bureaux mais des élus locaux eux-mêmes entendant que s'y inscrivent les cas particuliers, les assouplissements, les exemptions permettant de donner à leur commune, leur département ou leur région des solutions particulières qu'ils estiment indispensables à leur territoire. Depuis une vingtaine d'années, on assiste particulièrement à l'évolution de la législation qui habille sous forme de règles générales les sollicitations d'égoïsmes politiques souverains et les petits arrangements locaux.
Evidemment, d'autres facteurs co-agissent à rendre les lois plus nombreuses et plus complexes. Le résultat est aggravé par le fameux mille-feuilles territorial, c'est à dire l'empilement des niveaux d'administration locale (communal, intercommunal, départemental et régional), qu'on ne veut surtout pas remettre en question par peur du sacrilège qui consisterait, aux yeux des élus, à diminuer le nombre de leurs fiefs. Mais la rançon à payer est qu'il faut faire vivre ensemble cette communauté par une débauche d'institutions et de règles de coordination. Et aucun projet public d'ampleur ne pourra se dispenser de l'accord entre les d'élus de tous niveaux pour le décider et le financer, ce qui abandonne les réalisations publiques au marché noir de leurs relations personnelles (projet d'aéroport de Nantes).
S'y ajoute notre goût pour la réforme dans le style technocratique au passif duquel on doit porter la prolifération des réglementations, leur extrême minutie, leur mise à jour permanente, en répugnant à laisser la moindre marge de liberté à ceux...