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La fin de l’âge politique

OPINION. En faisant du « vivre ensemble » le seul projet indépassable pour la France, les élites ont dissout la politique au sens noble du terme. Il ne s’agit plus désormais d’avoir un destin commun, mais de parvenir à faire cohabiter des individus isolés.

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« La politique semble démunie pour offrir d’autres perspectives que la réparation au jour le jour des déchirures du tissu social, dans l’attente des jours meilleurs, relayée par de multiples organisations humanitaires dont elle ne se distingue plus guère dans ses missions de solidarité. » Alain Ehrenberg (L’individu incertain).

En remplaçant la politique par le « vivre ensemble », on a bonnement usurpé le sens fondamental que s’étaient donné les hommes pour organiser leurs communautés. Prôner aujourd’hui une simple cohabitation supportable ne peut en aucun cas suppléer au projet porteur et fédérateur censé entraîner les peuples vers leur intérêt commun, transcendant l’unique souci de soi et inspirant nombre de mythes et de récits indispensables à leur pérennité. Le règne de l’opinion individuelle et souvent figée dans sa posture identitaire a mis à mal l’accord entre les membres de la société, la transmission entre les générations et la possibilité d’une projection dans l’avenir et d’un espoir toujours renouvelé. « Si l’on veut comprendre l’expérience contemporaine de l’individu, il faut la penser comme une relation et non comme une substance. », écrivait le sociologue Jacques Donzelot dans L’invention du social - Essai sur le déclin des passions politiques.

Les multiples débats augmentés et largement diffusés par les médias modernes ont pu donner l’impression que la démocratie se maintenait dans sa prolifération. Or, on s’aperçoit que ce verbiage n’est qu’une logorrhée itérative, aucunement porteuse d’une quelconque pensée, tant le temps des écrans est limité et réduit la parole au slogan littéral et facilement digérable. Aucune construction structurante ne peut en ressortir, les propos étant recouverts dans l’instant et gommés par les suivants eux-mêmes déjà obsolètes.

Le cercle vicieux de l’oralité débridée tend ainsi à nous enivrer et annihiler toute tentative de pose salutaire afin de constituer en commun un projet pour tous. Inévitablement, de nombreux replis...

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