« La Sécurité, ou la mort » : l’autorité de Créon contre le droit d’Antigone
OPINION. Veut-on encore être libre ? Dans un pays qui vit au rythme des états d’urgence successifs depuis plusieurs années, la tragédie de Sophocle nous rappelle l’essentielle distinction entre le légal et le légitime.
De l’urgence terroriste à l’urgence sanitaire en passant par la climatique, les principes de notre droit n’ont cessé d’être conjugués au conditionnel des états d’exception imposés depuis un quart de siècle. À des masses maintenues dans l’obsession de leur sécurité, la restriction consentie de nos libertés pour des raisons supérieures tend à s’imposer comme une norme nouvelle.
Dans son projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen présenté à la Convention nationale en 1793, Maximilien de Robespierre disposait à l’article 25 que : « Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme est essentiellement injuste et tyrannique : elle n’est point une loi. » De façon contre-intuitive, cette appréhension de la loi dénote chez le jeune avocat d’Arras, formé dans les collèges de l’Ancien Régime, un esprit moins révolutionnaire qu’épris de conceptions traditionnelles du droit. Car Robespierre ne fait ici que réinventer une doctrine juridique qui irrigue notre histoire du droit depuis des temps immémoriaux. Une doctrine qui, comme souvent, prend sa source chez les auteurs de la plus noble Antiquité.
Pour la comprendre, c’est à l’Antigone de Sophocle qu’il faut en revenir : cette tragédie grecque créée en 442 av. J.-C. mettant en scène la fille d’Œdipe, Antigone, défiant son oncle le roi de Thèbes, Créon. Lorsque le propre frère d’Antigone, Polynice, est tué lors de la rébellion des Sept, le roi Créon, en guise de châtiment posthume contre ce neveu qui a pris les armes contre sa Cité, lui refuse le droit à une sépulture pour assurer son repos. C’est donc une peine éternelle que prononce Créon contre Polynice. Considérant une telle décision comme inique, Antigone désobéit et se dévoue à inhumer son défunt frère, provoquant la colère du roi qui la condamne à mort pour sa désobéissance.
Dicter le droit au lieu de s’y conformer
Dans cette tragédie,...