HommageParis

Larmes amères pour un poète-libraire, fou des livres anciens et de la liberté

OPINION. Cet été, Front Populaire propose à ses lecteurs de partager un souvenir, un voyage, un morceau de France. L’occasion pour notre contributrice de rendre hommage à Bernard Gaugain, un libraire parisien atypique disparu il y a quelques mois.

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C’est la fin de l'été !

Mais c'est au printemps que Bernard Gaugain (1933-2021) libraire atypique dans un monde culturel formaté, a tiré sa révérence, à 88 ans, victime d'un covid brutal. Depuis, je pense à lui avec autant de tristesse, remords et émotion que d'admiration.

Lors de mon engagement (1967 à 1973) chez Jean-Jacques Pauvert, éditeur germanopratin légendaire, j'ai connu Bernard en sa qualité de libraire du Palimugre, figure incontournable du microcosme pauvertien, spécialisé en littérature générale, érotisme, surréalisme, ésotérisme, bande dessinée, où se cachaient dans l'arrière-boutique les Curiosa illustrés, les libertins du XVIIIe et les éditions publiées sous le manteau par Pauvert et consorts, pas toujours à la barbe et au nez de la Brigade mondaine du 36 Quai des Orfèvres, qui veillait et n'avait qu'à franchir le Pont-Neuf pour sévir et parfois saisir les ouvrages jugés susceptibles de créer un « troubles à l'ordre public », rigorisme gaullien assez vite émoussé par une censure pompidolienne plus tolérante.

De Bernard Gaugain, nancéien profondément attaché à sa ville où il repose auprès de sa famille, mais nostalgique de la République de Weimar sous laquelle il eut tant aimé vivre, fils de colonel muté avec femme et enfants dans l'Allemagne défigurée d'après guerre, je me souviens avec délice d'un personnage un brin fantasque, à la démarche dansante si particulière, de son sourire narquois, de ses cheveux bouclés poivre et sel encadrant un beau visage expressif, intemporel, à la fois beauté du diable et charme angélique. Je n'ai d'ailleurs jamais su lui donner d'âge.

J'ai eu le plaisir et, disons-le, l'honneur de l'assister certains samedis dans ladite librairie, au 20 rue Dauphine à Paris VIe, dans laquelle Régine Deforges, alors aux abois, trouvera refuge dès 1972 pour finir, vilain coucou, par s'approprier les lieux au détriment de son emblématique animateur ! La gestion on ne...

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