L’influence de Nietzsche sur des penseurs de gauche comme Deleuze ou Onfray est bien connue. Après la récupération biaisée de la pensée nietzschéenne par sa sœur, Elisabeth Förster Nietzsche, et sa falsification par le régime hitlérien à des fins racialistes, il était sans doute nécessaire et urgent de procéder à cette correction afin de mettre en valeur le caractère proprement subversif et révolutionnaire de l’auteur de Par-delà le bien et le mal. Cette focalisation sur la portée anticonformiste de Nietzsche a pour ainsi dire quelque peu éclipsé le versant parallèle de son influence, celle sur la droite et les nationalistes. C’est cette influence que Julien Dupré s’attache à examiner dans un ouvrage copieux et très documenté, intitulé Nietzsche et les nationalistes français.

Ce qui frappe dans ce travail, c’est la très grande sûreté du jugement, qui s’appuie sur une connaissance extrêmement fine de la position des auteurs étudiés, position généralement considérée à travers son évolution au fil des années. Les sentiments à l’égard de Nietzsche, Barrès, Faguet, Maurras, de Gaulle, Brasillach et de beaucoup d’autres sont ici étudiés avec une grande précision, dans leurs motivations comme dans leurs expressions, et une grande attention est portée sur l’évolution de ces sentiments par rapport à celle de la conjoncture historique. C’est en effet un des mérites de cet ouvrage de mettre en évidence que la lecture de Nietzsche en France au cours du demi-siècle qui a suivi sa mort a été fortement influencé par les aléas tragiques des rapports entre la France et l’Allemagne. Ce qui nous est livré dans cet ouvrage, c’est donc toute une histoire des mentalités du début du vingtième siècle, et en particulier la mentalité de cette droite nationaliste qui, comme toutes les droites, derrière l’assurance de façade, manque au fond de bases idéologiques fermes, et recherche...