Ouistreham : debout la bourgeoisie !
OPINION. Adaptation biaisée du récit de Florence Aubenas, le film Ouistreham d’Emmanuel Carrère, en salles depuis le 12 janvier, se vautre dans l’indécence en prenant les pauvres pour le décor de ses états d’âme.
Il est difficile, devant Ouistreham, seconde fiction cinéma d’Emmanuel Carrère, de ne pas songer à la fameuse saillie de Pierre Desproges : « Marguerite Duras n’a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmé. » Adaptant le livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, l’auteur de Yoga en détourne le sujet, ce qui est notamment signifié par la réduction du titre au seul nom de la ville normande. Aubenas avait certainement en tête au moment de l’écriture Le Quai de Wigan de Georges Orwell, reportage mené par l’écrivain sur la classe ouvrière du nord de l’Angleterre. Si Orwell descendit dans une mine de charbon pour les besoins de son reportage, la journaliste s’invente de son côté une fausse persona de travailleuse précaire pour témoigner des conditions de vie de ceux que l’on appelle désormais improprement les « invisibles », tant les films d’auteur dits « du milieu » s’y intéressent.
Transfuge provisoire de classe, Aubenas se concentre discrètement sur ses compagnons d’infortune avec une neutralité bienveillante contrebalançant la gêne que l’on serait en droit d’éprouver face à un tel procédé. Du faux doit accoucher le vrai, ce qui implique le retrait de la reporter face à ce qu’elle documente. Son livre honnête contourne le risque de faire du réel un zoo social, tout en se condamnant à ne pas dépasser le stade de la dénonciation obligée. Les limites réelles du Quai de Ouistreham ne l’empêchent pas d’être frappant et informatif, qualités qui disparaissent totalement du film.
Le resserrement du titre du film sur Ouistreham, qui pourrait idéalement signifier l’ancrage dans un paysage marin et industriel, s’accompagne, à l’inverse de ce que l’on pourrait attendre, d’un sentiment d’irréalité générique qui va avec l’angle choisi. Les plans larges sur le port de nuit sont toujours soutenus par un thème Bontempi entre scie musicale et...