Un carnaval est censé être — et c’est bien la définition qu’en donne la mémoire niçoise et que les dictionnaires rappellent — une fête populaire où les habitants d’une ville, quel que soit leur statut social, se mêlent et se donnent en spectacle, parfois déguisés, surtout les enfants. À Nice, il y a le Corso (le défilé des chars) et il y a la foule, part essentielle : les Niçois, objets autant que sujets de la fête. Fête de la moquerie, du pastiche, de la caricature, du bonheur espiègle ; occasion rare et d’autant plus vive de s’exhiber caché sous des masques, d’être ensemble sur une table des valeurs hiérarchiques un moment renversée en se livrant à de batailles postiches : avant-hier de billes de plâtre, hier de confettis. Une réjouissance généreuse et, bien entendue, gratuite — sauf sur quelques gradins réservés au gratin tenant à son confort, ne voulant pas se mêler et, lui, bon payeur.

Le Carnaval de Nice était avant tout la fête des Niçois. Cette célébration collective, cette célébration collective où la collectivité se célèbre en se moquant d’elle-même autant que d’autres, l'actuelle équipe municipale l’a totalement subverti en la commercialisant selon un mode de quasi privatisation d’espaces publics auquel elle s’adonne toujours plus, étendant son domaine de préemption à l’envi. Elle a détourné capitalistiquement le Carnaval et l’a réduit à n’être plus qu’un attrape-touristes hygiénisé et sécurisé — à quand les barbelés ? À quand les miradors ? — dont les Niçois, payeurs d'impôts et de taxes tout au long de l'année, sont bannis, sauf à jouer les figurants costumés ou à verser un nouvel écot. Les grands panneaux noirs qui cachent la fête, qui empêchent d'en être - qui séparent - sont aussi tristes que ceux du Mur de Berlin. Certes, ils sont provisoires, mais sont dressés sur...