Le peuple existe-t-il ?
CONTRIBUTION / OPINION. Nombreux sont ceux qui voient dans la politique contemporaine l'affrontement entre les populistes et les populicides. Une grille d'analyse qui suppose l'existence d'un peuple. Mais lequel ?
Le peuple. Durant deux siècles, le mot fut sur toutes les lèvres et de tous les combats. Aujourd’hui encore, on l’évoque, on l’invoque, on le convoque dans l’isoloir, on le révoque, les élections passées. Pour les uns, il est une abstraction, la part désincarnée de la population, que suggère, emprunté au passé, le double corps du roi. Pour d’autres, il est une figure imaginaire, créée de toutes pièces par la fièvre révolutionnaire. Soit. Mais à l’heure où la « démocratie » est menacée, la question se pose plus que jamais : le peuple existe-t-il ?
Le peuple, nous dit le dictionnaire Larousse, est l’« ensemble des personnes vivant en société sur un même territoire, et unies par des liens culturels, des institutions politiques », une communauté de desseins et de destin. Politiquement, toutefois, le peuple s’inscrit dans un mouvement dynamique. Il existe par la volonté et la capacité des individus à se mobiliser, à agir collectivement, et à demeurer rassemblés. Dès lors qu’il se démobilise, il cesse d’exister, comme le cœur s’éteint quand il arrête de battre, et il devient, ou redevient, une quantité politiquement inerte, « un grand nombre de personnes dans un endroit » donné. Il n’y a donc pas de peuple sans « front populaire », sans un espace social, une « zone de combat », où l’on s’entend, parfois, où l’on s’affronte, souvent, où l’on agit, toujours.
Ainsi, voter ne suffit pas à « faire peuple » ; et des individus en révolte ou en grève ne sont pas le peuple quand, enfourchant leur tracteur ou passant un gilet jaune, ils expriment leur colère. Le peuple existe quand, dépassant l’immédiat et le ponctuel, il pèse durablement sur le cours des choses et des événements. En déposant les armes, il renonce à son pouvoir et devient complice de sa propre défaite. Politiquement, cela s’appelle un suicide. Car c’est...