Une exposition un matin d’hiver
OPINION. À travers le récit d’une visite d’exposition, notre lecteur expose le paradoxe parfois étrange entre l’histoire foisonnante des objets que l’on vient observer et la platitude du moment présent.
Il est presque neuf heures ce matin-là. Nous sommes fin janvier et j’attends maintenant depuis bien vingt minutes devant la façade austère du bâtiment à l’intérieur duquel nous sommes tous censés pénétrer. Au pied de l’escalier extérieur central, une centaine de personnes, au fur et à mesure de leur arrivée, se sont progressivement agglutinées en une masse compacte et difforme. La température frôle le zéro degré. De fines particules de neige ou de grésil complètent la scène ; un vent glacial incite beaucoup d’entre nous à piétiner sur place, donnant à la cohorte une sorte de mouvement permanent et diffus. On ne perçoit aucun bruit de voix ; la colonne reste silencieuse ; chacun patiente dans le froid sec d’un dimanche matin hivernal.
Soudain, tous les visages se lèvent dans la direction du bâtiment. Derrière les vitres de la grande porte-fenêtre, des mouvements incertains laissent penser que l’ouverture est proche. Un bruit prolongé de clef ou de verrou, la porte s’entrouvre. Sortent l’un après l’autre, cinq gardiens. Tous en uniformes, stricts, bleu foncé, impeccablement repassés, chemise bleue, cravate sombre et casquette sur les yeux. Ils portent la plupart d’épaisses cordes ou des piquets et se dirigent rapidement vers le groupe. Incroyable !
Tous les gardiens sont noirs, des noirs complètement noirs, en uniformes ; et dans la file d’attente, que des blancs, complètement blancs, en manteaux sombres et fourrures. Certains ont sorti les bottes fourrées, d’autres les parkas ; les plus audacieux ou les plus prudents ont mis des chapkas et plusieurs femmes pour se protéger du vent ont même remonté et ajusté des carrés colorés sur leur tête qui tranchent avec le noir uniforme de la masse. Le contraste est saisissant : les gardiens ne semblent pas souffrir du froid, s’activent rapidement autour de notre groupe de pâles indigènes transis. Immédiatement...