La « gouvernance » de l’État implique la fin du politique
DEBATS. L’idée de « gouvernance », aux origines lointaines, est revenue dans le langage courant par l’intermédiaire du monde des affaires. Elle dépossède les peuples de leur souveraineté au profit des experts et des lobbies. Un texte dans la lignée du second numéro de notre revue, Front Populaire, dédié à l’État profond.
L’air de rien. Comme s’il s’agissait d’un strict synonyme de gouvernement. La « gouvernance » est aujourd’hui sur toutes les bouches, de même que le « sociétal » s’est substitué au social ou que, moins systématiquement certes, la « société civile » a pris la place du peuple. Contrairement au gouvernement, bien plus restreint dans l’espace et dans le temps, la gouvernance est extensible à l’infini puisqu’elle vaut pour tous les domaines – sport, université, affaires publiques, web – et s’applique aussi à tous les échelons – local, régional, national, européen, global. S’attarder sur ce concept, autour duquel s’articule une quantité d’autres, jette une lumière crue sur le processus de libéralisation des sociétés occidentales. La gouvernance heurte d’autant plus notre pays que l’État y a créé la nation et qu’il pensait avoir enfin réglé sa question institutionnelle par l’instauration en 1958 d’une République monarchique, résumé de son Histoire, complétée quatre ans plus tard par l’élection au suffrage universel du Président.
Des affaires privées aux affaires publiques
L’ironie est que la gouvernance fut bien, au cours du Moyen Âge, un autre mot pour dire l’art de gouverner. Apparu plus tardivement en Angleterre qu’en France, il y avait le même sens. Dans les deux pays, le mot tomba en désuétude jusqu’à ce qu’un jeune économiste britannique, Ronald Coase, le dépoussière en 1937 en l’affectant au monde des entreprises. La firme, soutint-il alors dans un célèbre article, The Nature of the Firm, serait plus efficace que le marché pour organiser certains échanges, une théorie reçue par les économistes institutionnalistes. Dans les années 1970, la gouvernance prit le sens d’une remise en cause du pouvoir des grands patrons. L’expression corporate governance, traduite en « gouvernance d’entreprise », se répandit dans la foulée, proportionnellement à la libéralisation des sociétés occidentales.
L’anglicisme de gouvernance ne se cantonnait pas au monde de l’entreprise...